Thierry Jonquet est un homme pudique qu’il faut parfois traquer loin des couvertures de la Série noire. Deux titres paraissent qui éclairent son œuvre crépusculaire. Un recueil de nouvelles, La Vigie (L’Atalante - 192 pages, 60 FF), où Jonquet se montre féroce et jubilatoire, parfois même étonnamment dilettante et inégal, succombant à la facilité. Et surtout un roman, Rouge c’est la vie, qui résonne comme un cessez-le-feu, puisqu’il prévient lui-même dès la quatrième de couverture : « depuis quinze ans j’écris des romans noirs. Des intrigues où la haine, le désespoir se taillent la part du lion et n’en finissent plus de broyer de pauvres personnages auxquels je n’accorde aucune chance de salut. Chacun s’amuse comme il peut. J’ai eu envie de rompre avec l’habitude, de m’octroyer un moment de répit.(…) Et surtout de raconter une histoire d’amour. La mienne ». Mai 68, Victor a 14 ans, il erre entre les rayonnages de la bibliothèque municipale, découvre Trotsky et la Shoah. Quelques arrondissements plus loin, Léa s’engage dans les rangs sionistes. Pendant qu’elle se prépare à vivre dans un kibboutz, Victor, militant ascétique, bâcle son bachot et connaît ses premières désillusions politiques avec Lutte ouvrière. Tout les sépare, et pourtant, aujourd’hui, Victor aime Léa. Mais Jonquet ne croit pas à la fatalité. Pour comprendre le comment de ces deux fils noués, il dévide les pelotes de leurs vies, les mailles croisées et les points perdus, il tricote les hasards et débobine la grande Histoire dont ils sont, aussi, les enfants courroucés, celle du Parti ouvrier social-démocrate de Russie, des pogroms et de l’antisémitisme stalinien. Sans amertume, sans nostalgie, Jonquet dit deux adolescences qui palpitent au cœur des années 70, il dit les premières colères qui aujourd’hui encore consument sa plume, il dit l’amour qui contrarie l’histoire. Un Jonquet, une fois n’est pas coutume serein et drôle, à lire avant quelques autres en ces temps de commémorations soixante-huitardes tous azimuts.
Rouge, c’est la vie
Thierry Jonquet
Seuil
176 pages, 95 FF
Domaine français La vie en rouge
septembre 1998 | Le Matricule des Anges n°24
| par
Anne Riera
Un livre
La vie en rouge
Par
Anne Riera
Le Matricule des Anges n°24
, septembre 1998.