Gilbert Malétrain, jeune professeur, travaille à un roman historique sur la fin du monde gallo-romain. Le sixième siècle, période des invasions barbares, temps de guerre, « de femmes bardées de fer, de vieux dieux borgnes et de héros chevelus qui forgeaient des épées et se baignaient dans le sang des monstres. »
De l’autre côté de la page, il se débat dans une vague idylle avec Frédérique, femme insaisissable. Le roman qu’il écrit lui sert d’exutoire. Il y raconte l’ascension de Frédégonde, putain d’une France ensanglantée. Dès le début du Retour du chasseur, le lien se fait entre les deux personnages. Les « Frede » se mêlent tandis que l’oncle de Gilbert, vieil historien et réservoir de connaissance, se fait le lien de chair entre passé et présent, conseillant aussi bien son neveu sur le sixième siècle que sur ses choix de vie.
Quatre romans en trente ans, le premier paru chez Bourgois en 1968 : James Gressier n’est pas un auteur prolixe. On pouvait s’attendre à lire cet objet travaillé, loin des rythmes imposés par l’industrie du livre. L’auteur est hors champ. Malgré tout, son nouveau roman décrit notre époque, sa déliquescence. Heureux paradoxe qui donne au texte un penchant à la permanence. James Gressier, écrivain français comme son prénom ne l’indique pas, met en pièces la fin du vingtième siècle et pousse un peu plus loin même, décrivant un passage apocalyptique au troisième millénaire.
L’auteur alterne les deux récits, superpose sixième et vingtième siècle pour montrer à quel point la frontière est poreuse entre les âges : « Je me disais qu’il faut peu de choses pour ruiner notre monde : un peu plus ou un peu moins d’eau, trop ou trop peu de chaleur, et la planète des hommes infime auberge de l’espace se fait dure à la vie, impraticable à la conscience. » Gressier exploite avec bonheur cette fragilité, car la barbarie que Gilbert décrit dans son roman perce progressivement le présent.
La beauté du texte tient à son pouvoir de contamination. Au fil des pages, le récit imaginé par le jeune professeur se place en retrait et le passé gagne du terrain. Nous rejoignant, il n’a plus besoin d’être formulé. Gilbert a toujours porté un regard archaïque sur son époque. Catapulté dans une boîte de nuit, il remarque : « De mon poste, j’observais un homme, divinité banale, qui distribuait à profusion le son et les lumières. Périodiquement, il emballait les rythmes, et c’était comme l’approche d’un orgasme constamment différé. Par des vannes minuscules, il libérait des cataractes. » Gilbert nage dans un complet décalage avec son époque et le lecteur pénètre peu à peu dans l’anticipation. L’an 2000 sera vécu comme un drame, le pays sombre dans l’anarchie. Bandes, sectes, vandalisme, meurtres, James Gressier y place tous les démons. Mais il nous a menés là sans brutalité. Nourrie de barbarie historique, la situation trouve facilement sa justification.
Réflexion sur le temps, le progrès et les pouvoirs de la fiction, Le Retour du chasseur irritera sans doute ceux qui cherchent en littérature le reflet d’une actualité. Mais derrière le miroir, James Gressier manipule le lecteur avec une indéniable habileté et révèle la face pourrie de notre fin de siècle.
Le Retour du chasseur
James Gressier
Phébus
240 pages, 129 FF
Domaine français Demain, l’apocalypse
janvier 1999 | Le Matricule des Anges n°25
| par
Benoît Broyart
Dans son beau roman d’anticipation, James Gressier règle son compte à la modernité et signe le retour d’un auteur peu prolixe.
Un livre
Demain, l’apocalypse
Par
Benoît Broyart
Le Matricule des Anges n°25
, janvier 1999.