Décernons un prix : celui du meilleur premier chapitre de cette rentrée littéraire à Göran Tunström pour Le Livre d’or des gens de Sunne. Une nuit dans un village suédois, des personnages regardent la lune pour la première fois à travers une lunette astronomique et se risquent à en nommer les mers. Puis un homme surgit derrière eux et s’effondre, ivre mort, après cette intervention : « Mare Tranquillitatis, répéta l’ivrogne, debout au milieu du parvis de l’église, inondé de lumière. Je n’ai pas besoin d’atlas, je suis sûr de ce que j’avance, j’en reviens tout juste. » Cela s’avérera vrai. L’homme est un astronaute qui a marché sur la lune. Ce qu’il fait ce soir-là dans ce village suédois est certes plus burlesque, mais les livres de Tunström se situent toujours dans cette bande étroite, à l’extrémité du possible. Revenons encore un instant sur cette scène inaugurale : elle est baignée de deux lumières, celle spirituelle de l’église et celle physique de la lune. De quoi déjà brouiller le regard du narrateur, un homme simple, épicier exemplaire, dont la passion est de recueillir des autographes, ces paillettes tombées du costume des stars serait-on tenté de dire. Il se prénomme d’ailleurs Stellan. C’est une étoile, si l’on convient que la seule vertu des étoiles est leur capacité à capter la lumière et à s’en illuminer. C’est donc lui qui est chargé d’immortaliser la venue des célébrités à Sunne (Sunne, sun, décidément…) Mais la mémoire de Stellan demeure figée, tout entière tournée vers ceux, peut-être plus anonymes, qui bouleversèrent sa vie. Le livre devient une sorte de petite chronique des illuminations ordinaires. Sous la plume de l’épicier (à la retraite), les gens du voisinage sont rendus à leur grandeur. Ils brillent par leurs sermons et leur savoir (le pasteur), leur beauté (Isabelle), leur mystère (Harald). L’entreprise de Stellan a quelque chose d’héroïque contre le passage du temps. Sa vie entière est une forme de résistance : contre l’indifférence, les tentations, les saccages du progrès. Ste
Comme les précédents romans de l’auteur (Le Buveur de lune, L’Oratorio de Noël, Le Voleur de Bible), ce livre fait l’inventaire des penchants des âmes, qui semblent vouées à côtoyer les précipices, les catastrophes, pour se révéler plus sûrement à elles-mêmes. Cette chronique révèle au fil des pages un certain nombre d’intrigues, de bassesses, de mensonges, d’amours, de grandeurs qui peu à peu nouent entre eux les destins de tous les protagonistes. Le livre lance ces bouts d’histoire au-dessus du vide dans lequel certains personnages basculent tandis que d’autres touchent leur réalité. Le roman est truffé de sentences lumineuses. Il pèche parfois par une piètre qualité des articulations narratives ; une construction qui semble par endroit paresseuse mais dont la faiblesse est constamment balayée par l’authenticité des personnages, qui au-delà des drames, donnent implicitement et parfois paradoxalement, mille raisons de croire en l’homme.
Le Livre d’or
des gens de Sunne
Göran Tunström
Traduit du suédois par
Marc de Gouvenain et
Lena Grumbach
Actes sud/Leméac
332 pages, 139 FF
Domaine étranger Les lumières de Sunne
octobre 1999 | Le Matricule des Anges n°28
| par
Christophe Fourvel
Un livre
Les lumières de Sunne
Par
Christophe Fourvel
Le Matricule des Anges n°28
, octobre 1999.