Les fidèles lecteurs de Régine Detambel se doutaient bien que l’auteur de La Verrière à ses heures gagnées se donnait à la lecture de la poésie. Ce n’est donc qu’une demi-surprise de voir paraître ce premier recueil, Icônes. Comme elle le fait dans ses romans ou ses nouvelles, Régine Detambel s’est d’abord donnée un champ lexical, comme une colonne vertébrale, le long de laquelle, très sensuellement, apposer ses vers. Ici chaque titre de poème renvoie à une couleur de Safran à Brune en passant par Pêche ou Cuir. Le recueil trace l’histoire d’une rencontre amoureuse, à partir du premier coup de téléphone, de la première rencontre au café : « Je n’ai plus peur du tout/ De l’existence de ta main droite/ Sur ma cuisse » jusqu’à ce qui serait une rupture. Filant ici la métaphore, là énumérant du mot « langue » d’amoureux synonymes, Régine Detambel peint ses miniatures en puisant au registre de la flore, de la faune et du minéral. Cela donne de courts poèmes, mystérieux parfois et parfois transparents (notamment dans la représentation de l’acte amoureux), toujours empreints d’une profonde sensualité. Des pastilles de couleur à glisser sous la langue. Comme elle l’avoue elle-même, ce travail poétique ne l’éloigne pas tant de l’écriture romanesque à laquelle elle nous a habitués. Suffit, pour s’en rendre compte, de lire le roman qu’elle vient de faire paraître chez Gallimard et dont le titre est une citation de René Char.
La Patience sauvage relate l’enfance et l’adolescence de Luce (Puce pour son père) à travers quelques séquences aussi courtes que précises. Non pas une succession de faits anecdotiques, mais ces moments où se cristallisent aux yeux de l’enfant le mystère du monde, le désir, la sexualité, la violence. Un sismographe verrait son aiguille s’affoler à suivre les phrases de Régine Detambel, chargées de toutes les pulsions mal domptées. Car il s’agit bien aussi d’apprivoiser en soi les peurs et les hontes, la concupiscence et la révolte. Ou de biaiser avec elles comme le fait l’oncle qui parle « souvent des poussées de sève, avec la bouche pincée et un profil que l’idée de jouir modifiait » ou comme le père qui profite des dimanches pour devenir « vraiment un homme ». La loi est féminine : c’est l’absolue propreté imposée par la grand-mère, le cinglant apprentissage des usages que dispense la mère.
Et puis au milieu de tout ça, il y a les bêtes : fourbes et sauvages comme la chienne Zorah qui ne veut pas voir le monde, mythiques et mystérieuses comme les chiens de ferme qui s’appellent tous Wolf. On aurait pu aussi ajouter les taureaux, mais ceux-ci se font mener sans violence par le bout du nez. Luce apprend la géologie devant les tombes du cimetière où son père retrouve un peu de son enfance dans ses monologues avec la grand-mère défunte. Elle apprend les baisers mouillés avec sa sœur Marie. Elle apprendra qu’on donne aussi les filles aux hommes comme on présente au taureau la vache qu’on veut engrosser.
Dans ces scènes très condensées (comme l’est la poésie), Régine Detambel fait affleurer et rend visibles les pulsions souterraines, géologiques qui traversent nos corps. Avec une délicatesse et une sensualité qui n’enlève rien à la sauvagerie de la vie.
Régine Detambel
Icônes
Champ Vallon
La Patience sauvage
Gallimard
101 et 172 pages, 75 et 80 FF
Poésie Les mots comme images
janvier 2000 | Le Matricule des Anges n°29
| par
Thierry Guichard
Un recueil de poèmes et un nouveau roman : Régine Detambel explore par le lexique et ses rythmes, les canaux souterrains de la sexualité.
Des livres
Les mots comme images
Par
Thierry Guichard
Le Matricule des Anges n°29
, janvier 2000.