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Domaine étranger Nuit de Chine

janvier 2000 | Le Matricule des Anges n°29 | par Dominique Aussenac

Alors qu’une décision de justice annonçait, il y a à peine quelques mois, l’abolition des châtiments corporels dans les écoles privées britanniques, un troisième ouvrage de Denton Welch, récit autobiographique portant en partie sur les pratiques de ces lieux d’éducation (autoritarisme para-militaire, flagellations publiques, bizutages, viols divers…) au début de ce siècle, était enfin traduit.
Jusqu’ici, seuls son Journal (Plon, 1956) ainsi que les deux derniers tomes de sa trilogie romanesque avaient été publiés en France. La Promenade interrompue (en anglais, A Voice Through a Cloud, Plon, 1953) écrite juste avant sa mort et dont la dernière phrase laisse étrangement perplexe : « Maintenant que j’écris ces mots, j’aimerais pouvoir… ». Ainsi que Soleils brillants de la jeunesse (Viviane Hamy, 1997). William S. Burroughs qui en assurait la préface affirmait « À la question : quel est l’écrivain qui vous a le plus influencé ? Je réponds sans hésitation : Denton Welch. » Influence d’autant plus prégnante que le personnage de Welch est réactivé dans l’œuvre de Burroughs sous l’identité de Kim Carsons, héros-braqueur de banque de Parages des voies mortes (Bourgois, 1987). « Il s’agit en quelque sorte d’un enlèvement littéraire dont l’issue est aussi incertaine que lorsque la CIA kidnappe un Russe célèbre dans l’espoir de le faire travailler pour elle. Je veux dire : Denton aurait-il accepté d’être transformé en héros du Far-West ? En tireur d’élite ? Je pense qu’il se serait laissé faire. »
Onirique, délicat, enchanté, décadent, candidement pervers, Soleils brillants… évoque les derniers feux de l’enfance, la découverte de la sensualité, l’angoisse du passage à l’adolescence, la recherche de visions chimériques. Quelques images récurrentes parsèment par ailleurs le témoignage biographique qu’est Voyage initiatique.
Denton Welch, jeune aristocrate perdit sa mère à douze ans et fut envoyé avec son frère dans un collège du Derbyshire strict, étouffant. Après deux années de bizutage, corrections, admonestations diverses, les élèves y avaient le droit de porter un… parapluie. Les amitiés s’y révélaient rares, viriles, un brin violentes et ambiguës. Denton, surnommé Punky par un père froid, inaccessible, fuit pendant quelques jours. Escapade sans bagage dans des hôtels chics où il quête les traces de sa mère. Las, il doit bientôt rejoindre le collège où l’attend une bienheureuse nouvelle. Son père l’invite en Chine.
Il traversera ce pays étrange, encore vierge des regards occidentaux, souvent hostile, fasciné par l’art et la cruauté. Cruauté des relations humaines, des mesquineries des conversations de salon, de certaines visions évoquant la mort et le pourrissement. « La chose était une tête humaine. Le nez et les yeux avaient été mangés et les cheveux étaient gris de poussière. Dans le trou sombre de la bouche grande ouverte, quelques dents blanches ressortaient comme des quilles. Les joues et les lèvres étaient desséchées, couvertes de sang noir coagulé, et je pouvais voir des poils, longs et noirs, qui sortaient des oreilles. Cette vision était si terrible que je ne pouvais empêcher mes yeux d’y revenir en dépit de mes efforts pour regarder ailleurs. »
Si la compagnie amicale des femmes lui permet d’exprimer toute sa délicatesse, sa sensibilité et de compenser le manque de mère, il est attiré chez les hommes par la force physique, la beauté musculaire et une certaine brutalité. Il lui arrivera une nuit de se déguiser en femme et d’errer dans les rues de Shangaï. « Je m’assis devant la commode et m’occupai de mon visage. C’était aussi absorbant que de redécorer une pièce. Je ne fis pas dans la sobriété. J’utilisai tout ce qui me tombait sous la main. Je noyai mes yeux sous des tartines d’ombres à paupières bleues et, au-dessus, je dessinai des sourcils noirs fins et arqués. Je mis du fard à joues couleur brique et du rouge à lèvres écarlate. Quand j’eus fini, il n’existait aucune possibilité de se tromper sur ma profession. » Au-delà de cette angélique anecdote sur son indétermination sexuelle, la force de l’écriture de Welch est de transcender banal et quotidien. Il sait créer en quelques mots de petits tableaux précis, descriptifs ourlés de lambeaux oniriques, volatiles et somptueux. Son phrasé ondulant, la force de ses images se gravent dans la mémoire et donnent à son œuvre brève une dimension de classique. « Depuis l’âge de dix ans, je ne suis plus monté à cheval. A l’époque, on s’était enfin débarrassé de mon horrible poney noir. Qu’est-ce que je le haïssais ! Il piétinait les rosiers et la pelouse en montrant ses atroces dents jaunes. »
Des écrits intimes, chaleureux, vagabonds exaltant l’enfance, l’onirisme, la mobilité d’autant plus vibrants et pathétiques que Denton Welch eut très jeune une existence brisée par un accident. Une voiture le renversa à dix-huit ans alors qu’à vélo il parcourait une route déserte. Accident déclencheur d’écriture chez un être qui jusque-là se consacrait à la peinture. Souffrant atrocement de son invalidité, il mourra des suites de ses blessures en 1948, à trente-quatre ans. En l’espace de dix ans, il aura écrit un Journal où il évoque les affres de l’immobilité, une trilogie dont le premier tome Maiden Voyage, un recueil de nouvelles Brave and Cruel, un livre A Last Sheaf ainsi que des poèmes que Burroughs juge insignifiants, restent encore non traduits en français. « Un portrait de la reine Victoria en tenue d’apparat trônait dans un cadre surmonté d’une couronne de plâtre qu’on aurait dit suspendue au-dessus de sa tête, et la médaille de l’ordre de la Jarretière était accrochée sur sa poitrine. L’artiste, en accentuant sa lèvre pendante, lui avait donné une allure de grenouille. »

Voyage initiatique
Denton Welch

Traduit de l’anglais
par Corinne d’Arboussier
Viviane Hamy
333 pages, 149 FF

Nuit de Chine Par Dominique Aussenac
Le Matricule des Anges n°29 , janvier 2000.