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Domaine étranger Retours vers le futur

mars 2000 | Le Matricule des Anges n°30 | par Eric Naulleau

De la côte Est aux rives du Danube, Susan Rubin Suleiman part à la recherche du temps perdu et dans le déchiffrement d’une langue lointaine.

Retours, journal de Budapest

Dans sa préface, Elie Wiesel qualifie bizarrement ce Journal de Budapest de « mémoire ». Lapsus plutôt ironique si on le rapproche de cette réflexion désabusée de l’auteur, éminent professeur de littérature française à Harvard, en redécouvrant un classique de sa jeunesse hongroise après plusieurs décennies d’exil américain : « C’était curieux de peiner sur des pages que j’avais lues facilement, étant enfant. La vie est étrange, me disais-je : professeur à Boston, élève de cours moyen à Budapest. » Toute l’entreprise de Susan Rubin Suleiman s’apparente à ce laborieux et passionné déchiffrement d’une langue et d’une réalité lointaines mais étrangement familières. Née en 1939, elle subit comme tant d’autres juifs d’Europe centrale les tyrannies brune et rouge avant d’émigrer sous d’autres cieux. À la faveur de plusieurs retours dans son pays d’origine, effectués à titres privé ou professionnel à partir de 1984, il s’est agi de retrouver les émotions et lieux du passé (la spécialiste de Proust unit ici avec bonheur ses forces à la diariste), se mettre en quête de précieux « morceaux de papiers », actes de naissance ou de mariage, au prix de longues démarches mais également de satisfactions aussi sentimentales que poétiques : « Le terme hongrois pour les copies de documents officiels se traduit littéralement en français par “extrait du Livre-mère”. Aux oreilles d’un Hongrois, ces mots sont ordinaires et prosaïques ; mais je les trouve chargés de poésie. Ce mot anyakönyv, (…) je l’imagine aussi sous la forme d’un livre véritable, un grand registre vide dans lequel nous inscrivons nos vies. » Tout ceci ne dispense pas de s’attacher à d’autres aspects plus contemporains de la réalité hongroise, comme appréhendés à travers un prisme d’altérité : Susan Rubin Suleiman suit avec inquiétude l’ascension d’un leader populiste, qui ne connaîtra en définitive pas le même succès électoral que Jörg Haider dans l’Autriche voisine, analyse les avatars présents et passés de l’antisémitisme en pays magyar… tout en succombant parfois -notamment lors d’une conférence de Saül Bellow- à des accès de « politiquement correct » made in USA : « J’aurais dû (lui) demander : “Et aujourd’hui, que pensez-vous du féminisme, des études féministes, du multiculuralisme ?” » Hâtons-nous cependant de reconnaître que ce genre d’incident demeure isolé au long d’un texte où l’émotion affleure à chaque page, en dépit de la pudeur dont fait preuve notre voyageuse spatio-temporelle, et culmine à l’occasion d’un périple en Pologne jusqu’à la ville natale de son père. Moment de grâce passé en compagnie de deux hommes – l’un chrétien, l’autre juif – qui s’efforcent de sauvegarder la mémoire d’une communauté qui représentait en 1939 près de la moitié de la population de cette bourgade et dont il faut aujourd’hui traquer les moindres traces comme s’il s’agissait d’une tribu préhistorique : « Pourquoi me sentir heureuse dans cette ville où ne vivait plus un seul juif, où même les traces de papier des juifs avaient été si entièrement oblitérées que mon père, en ce qui concerne les documents, n’était pour ainsi dire jamais né ? (…) Qu’elle qu’en fût la raison, je me sentais bien. » Et l’auteur de conclure joliment : « Mais la mémoire possède aussi ses pièges. Après s’être remémoré, il est temps de repartir ; non pas vers de nouveaux oublis, mais vers des expériences neuves. »

Retours - Journal de Budapest
de Susan Rubin Suleiman
Traduit de l’américain par Irène Lurçat
Bleu autour, 208 pages 116 FF

Retours vers le futur Par Eric Naulleau
Le Matricule des Anges n°30 , mars 2000.