La rue Jean-Dolent qui donne son titre au court roman de Nathalie Kuperman n’est pas une rue comme les autres. Car la rue Jean-Dolent mène à la maison d’arrêt de la Santé. Là est incarcéré Pierre, le compagnon de Marianne, la narratrice. Pourquoi Pierre est-il en prison ? Nous ne le saurons jamais. Marianne l’ignore aussi et quand elle sera enfin renseignée -le jour du procès- elle l’oubliera aussitôt. L’essentiel n’est pas là. Nous apprendrons seulement qu’il ne s’agit ni de drogue ni de meurtre, et que l’arrestation de son compagnon a été admise trop naturellement par Marianne pour qu’il ne soit pas clair que Pierre trempait depuis longtemps dans des activités illégales. Pierre a d’ailleurs déjà fait de la prison, bien avant que Marianne ne le rencontre. Ainsi, c’est elle plutôt que le prisonnier qui doit faire l’apprentissage de la prison.
Les mots simples de Nathalie Kuperman disent sans fioritures le long et douloureux apprentissage de celle qui est « dehors », mais qui deux fois par semaine pénètre dans le monde clos de la prison pour visiter son « homme ». Car Marianne doit s’initier puis se plier aux règles absurdes de l’administration carcérale. Apprendre à être dépossédée de son identité. Accepter l’humiliation infligée par des fonctionnaires tout puissants. Mais elle doit surtout oublier la terrible culpabilité qui étreint celui qui est libre avant et après chaque visite.
À l’heure où les médias retentissent de « révélations » sur l’enfer de la prison, Rue Jean-Dolent nous montre l’autre côté du miroir. L’histoire banale et douloureuse de ceux qui restent, obligés de faire comme si de rien n’était alors que tout a changé. Derrière les murs, les prisonniers sont -paradoxalement- protégés. Leurs parents, leurs femmes, leurs enfants, eux continuent à vivre, souffrir, travailler, aimer peut-être.
Rue Jean-Dolent
Nathalie Kuperman
Gallimard
149 pages, 75 FF
Domaine français De l’autre côté du mur
juillet 2000 | Le Matricule des Anges n°31
| par
Karine Motch
Un livre
De l’autre côté du mur
Par
Karine Motch
Le Matricule des Anges n°31
, juillet 2000.