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Domaine étranger Architecture du mal

juillet 2000 | Le Matricule des Anges n°31 | par Dominique Aussenac

Sous la forme d’un roman policier onirique, métaphysique, Sergio Ferrero démontre que la réalité dépasse toujours terriblement la fiction.

Les notions de classes sociales, de luttes des classes sont aujourd’hui devenues pratiquement obsolètes dans la littérature contemporaine. La structuration marxiste du monde et des individus a vécu. Né en 1926 à Turin, Sergio Ferrero, auteur d’une dizaine d’ouvrages continue toutefois à utiliser cette grille d’analyse. Très souvent d’ailleurs pour réhabiliter l’individu face aux masses. Il aime à travailler sur les êtres de l’entre-deux, ni prolos, ni bourgeois, possédant la culture dominante, mais exclus des jeux de pouvoir, du fait du manque d’argent ou de crédit social. Ces entre-deux, ces intervalles pourraient représenter des espaces de liberté ou des couloirs de mobilité sociale extraordinaires. Mais au déterminisme de classe, Ferrero rajoute le poids d’un fatum, d’un destin funeste. L’émancipation de l’individu est certes un progrès, mais le monde est avant tout mauvais, le mal, substrat de base du catholicisme italien ; extrêmement noir, douloureux, totalitaire et toujours victorieux. Satan terrassant Marx.
Le pessimisme de Ferrero par rapport à la nature humaine, à l’instar d’un souffle nucléaire balaie tout sur son passage. Plus excessif que celui d’un Simenon, plus proche de celui d’un Gustaw Herling qui n’en finit pas de révéler les ravages du Mal, presqu’aussi flamboyant. Dans ses romans, les êtres s’épient, se jalousent, se calomnient, propagent des rumeurs, inventent des boucs émissaires. Le monde y est un huis clos monstrueux, sans échappatoire.
Dans Le Jeu sur le pont (Rivages, 1998, Lmda N°24), Sergio Ferrero évoquait les rapports dominant/dominé, l’isolement de l’étranger, la décadence de l’aristocratie à travers les tribulations d’un jeune homme chargé d’inventorier la bibliothèque d’une demeure prestigieuse. L’auteur jouait avec les ombres et les lumières, évoquait le monde onirique et terrible de l’enfance. Avec Dans l’ombre, Ferrero renoue avec cet univers. Dans une ville de province, au début du siècle, un peu avant la période fasciste, une vieille dame anglaise possède le palais de San Martino, situé au milieu d’un parc mystérieux, labyrinthique et romantique à souhait. Jugée excentrique par les notables des environs avec qui elle ne se lie pas, elle est entourée de son fils, Pietro, être sensible, qui s’isole du monde par la lecture, et d’un couple ayant une petite fille Chiara. Pietro disparaît et Chiara accuse son propre père d’être responsable de sa mort. La police enquête, le drame prend de l’ampleur, jusqu’au retour inopiné de Pietro. Chiara dont le père s’est suicidé, est alors envoyée dans une maison de repos.
Dans cette première partie abondent les zones d’ombres, les non-dit, les cheminements tortueux à l’intérieur des pièces du palais, engendrant une dimension fantastique. Le père de Chiara, innocent, injustement accusé, se suicidant en se déchirant les veines avec les dents donne une image terriblement prégnante du dialogue entre l’ange et la bête.
La première partie du roman est certes une fiction, une construction de l’imaginaire, mais qui va prendre d’autant plus de relief, de profondeur de champ qu’elle va être confrontée ou renvoyée en miroir sur une deuxième partie, atrocement réelle, puisqu’il y sera question de l’avènement du fascisme et de ses horreurs. Chiara reviendra occuper le palais où elle vivra cloîtrée. Son seul lien au monde extérieur sera un enfant, fils d’une mère célibataire, militante de gauche. La sensibilité de l’enfant et celle de la présumée folle communieront autour de livres et escapades dans le parc mystérieux. Puis la tourmente fasciste, le mal en mouvement emportera tout sur son passage, innocents et maudits, châtelains et manants.
L’enfant, omniprésent dans Le Jeu sur le pont personnifie l’innocence, il est porteur de tous les possibles. Ferrero l’utilise comme un passeur qui permet aux adultes de retrouver le jardin d’Eden, un certain paganisme, les chemins de traverse de leurs propres enfances. L’enfant guide à travers le monde enchanté de la nature, le parc, les buissons, les bassins, mais aussi les couloirs, les pièces, les dédales du palais. Il entrevoit des présences, des bruissements étranges, autour de lui, dans les poudroiements d’ombres et de lumières, ceux d’un autre monde, qu’il fait pressentir à l’adulte. À ce moment-là tout peut vaciller, quelque chose de l’ordre du changement, de la magie, de la métamorphose semble pouvoir opérer. Il suffirait peut-être d’un mot, d’une formule, d’un désir de vérité. Mais ni l’enfant, ni l’adulte ne forcent le passage. Seule la peur s’installe, puis le mal. L’enfant en sera la victime sacrificielle. « Il s’arrêta tout de même, surpris, pour regarder sur le trottoir inondé de soleil la petite porte qu’il avait toujours vue cachée dans l’ombre, de l’autre côté du mur. Il s’apercevait qu’il ne l’avait jamais imaginée telle qu’elle devait apparaître aux passants : bien dégagée, et pourtant presque effacée par la rouille, par la poussière et plus encore par l’habitude de la voir verrouillée, de la supposer condamnée. »
Sergio Ferrero aime à construire des architectures, verticales (palais), horizontales (parc). Il joue sur l’opposition de ces plans, avec les vides et les pleins, le matériel et l’enchanté, les ténèbres et la lumière. Si ses sujets sont d’une noirceur singulière, son écriture se révèle légère, descriptive, presque désengagée. L’auteur se met à distance, donne l’impression de filmer, ce qui accroît remarquablement les tensions dramatiques et produit une sensation exponentielle d’étouffement. « Un filet de brouillard flottait dans la cour déserte et l’humidité faisait briller dans le noir les dalles du pavé, mais le froid lui semblait moins intense, là-dehors. »

Dans l’ombre
Sergio Ferrero

Traduit de l’italien
par Danièle Varlin
Rivages
262 pages, 129 FF

Architecture du mal Par Dominique Aussenac
Le Matricule des Anges n°31 , juillet 2000.
LMDA PDF n°31
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