Un éditeur

Arfuyen

D’une haute taille, avec quelque chose d’adolescent qui subsiste toujours dans ses plus fermes affirmations, Gérard Pfister est originaire d’Alsace (d’où la collection Alsace à son catalogue). Issu d’une famille en grande partie juive exerçant comme diamantaires hollandais, ses goûts et son parcours renvoient immanquablement à son catalogue qu’on peut résumer en deux mots dont l’association est pour beaucoup risible à notre époque : spiritualité et poésie. Angelus Silesius, Maître Eckhart, Katherine Mansfield, Emily Dickinson, Jean Arp, les hymnes païens de Proclus, Charles Juliet, Lydie Dattas, Zeno Bianu ou Les Upanishads : les auteurs et les textes de cet éditeur brassent toutes les époques et ne sont pas loin de former un kaléidoscope qui viserait à une certaine révélation.
Papier glacé, photographies (souvent des auteurs) en couverture, les livres d’Arfuyen sont aussi vite repérables par leurs couleurs vives. La plupart des titres sont souvent des plaquettes, rappelant avant même qu’on ne les ouvre que la lecture est une affaire d’intimité.
C’est à Paris que nous reçoit Gérard Pfister, dans le quinzième arrondissement, mais la rencontre aurait pu se faire en Alsace ou dans le lieu d’origine qui a donné son nom à cette maison d’édition… en Provence.

Comment est née votre maison d’édition ?
La maison d’édition Arfuyen est, à l’origine, un groupe de personnes. Nous l’avons créée en 1975. J’ai regroupé des personnes avec lesquelles j’étais au lycée Saint-Croix, mais aussi d’autres amis rencontrés au service militaire. J’avais choisi ces personnes selon leur talent. Arfuyen a d’abord été une revue. La plupart d’entre nous pouvaient traduire plusieurs langues : du chinois, du portugais, du russe, de l’anglais. Aujourd’hui, je dirige seul Arfuyen, qui fonctionne en SARL. En 1975, on m’avait prêté une maison de berger vers Malaucène, où Char a écrit ses Feuillets d’Hypnos, non loin du Mont Ventoux dont Pétrarque fit l’ascension. J’invitais des amis, on campait plus ou moins là-dedans. Comme on buvait pas mal de Côtes du Ventoux ou du Baume de Venise, on s’est dit : créons une revue. Beaucoup d’écrivains vivaient par là-bas : Char, Seghers, Jaccottet, Bosco, Tortel, Arland, Paul de Roux…
Nous sommes allés vers ces auteurs comme lorsqu’on enquête, pour recueillir leurs témoignages. Les premiers numéros d’Arfuyen sont nés ainsi, avec l’aide (eh oui !) du peintre Vasarely qui nous avait donné quelques œuvres pour que nous puissions les revendre et financer en partie l’opération. Nous nous sommes auto-diffusés en allant dans les bonnes librairies. Nous vivions ça en apprentis, comme un parcours initiatique. Nous savions déjà que la revue est un genre ingrat pour les libraires, surtout la nôtre, à cause du format, et aussi de son contenu : on ne laisse jamais assez de place pour un auteur. Leur donner quinze pages dans un numéro ne pouvait pas être cohérent. Nous avons fait cela un certain temps puis réalisé...