Pour laisser une trace de ce qui éventuellement serait le début, le 1er germe, d’un nouvel ouvrage, je vais essayer de reconstituer le fil des événements :
Il y a eu d’abord le compliment indirect de Nicole Loraux disant, d’après le témoignage de Patrice, de Mémoire de Vieira da Silva « c’est beau comme Fugue », compliment « qui m’est allé droit au cœur » en raison de sa justesse (je m’entends !) et que j’ai traduit, j’espère de manière non-abusive, en : « Fugue est beau comme Mémoire. »
- La justesse de ce rapprochement fut telle qu’elle se traduisit en moi par un : « Fugue pourrait s’appeler Mémoire », ou bien encore Fugue est une mémoire.
- J’ai alors repensé à l’article ici récemment cité, article si important, de Pierre Joly sur Kowalski (L’Œil N°159) où l’on peut lire : « K. tient à ce que chacune de ces œuvres soit aisément lisible et raconte à chacun son histoire, comme une »mémoire« conserve inscrits, selon un code aisément déchiffrable, les stades successifs d’un processus de production. (Or les décisions prises par l’artiste sont ordinairement telles que) la conscience n’en garde pas la trace, (mais) K. entend garder à l’esprit l’histoire toute entière. »
J’ai donc repensé à cet article puisque par un biais Fugue se confond avec l’ensemble des opérations que j’ai faites, des décisions que j’ai prises et donc est une mémoire alias scriptogramme, mais reste à savoir si on peut parler de Mémoire alors que j’arrive enfin à reconnaître presque au terme de la 9ème séquence (p.96) qu’« aucune chronique n’a pu ni ne pourra jamais consigner la fragmentation parfaitement silencieuse ». Soyons net : il est bien exact qu’aucune mémoire ne peut garder la trace de ce qui n’est pas un événement, d’un événement qui n’a ni lieu, ni temps, ni existence, et pourtant les décalages, les déphasages, les ruptures spatio-temporelles constituent l’ouvrage et comme en retour forment le mirage d’une tache blanche (dans le tableau de V. da Silva), ou fiction d’une « fragmentation parfaitement silencieuse ». Fugue n’a pas la mémoire de tout ce qui aurait eu lieu (puisque tout n’a pas lieu) et pourtant est une mémoire.
- Appeler « Fugue » « Mémoire » me fait apparaître que par ce biais la 9ème séquence, loin de terminer seulement Fugue, pourrait aussi préparer une œuvre future, et c’est sans doute animé par ce souci que j’ai écrit -jusqu’à ce jour sans recevoir de réponse- à Vieira da Silva pour lui demander si elle pourrait m’envoyer un grande photo en couleur de Mémoire.
- Je me suis surtout demandé si un ouvrage futur ne pourrait être une mémoire beaucoup plus directement et surtout beaucoup plus matériellement que Fugue. Mon idée - pour l’heure non seulement réalisable, mais un peu folle !- est la suivante : il y a déjà différents ouvrages, mais qui n’ont jamais eu accès à la dignité littéraire, qui à leur manière conservent le temps ou qui conservent le temps selon (ses) différentes manières : je pense par...
Dossier
Roger Laporte
Mémoire
septembre 2000 | Le Matricule des Anges n°32
Extrait inédit du quatorzième et dernier carnet daté du 29 octobre 1969.