Faisons un pari lucide : l’œuvre de Roger Laporte n’aura jamais beaucoup de lecteurs mais elle sera très longtemps lue. On pourrait de manière schématique diviser cette œuvre méconnue en trois voies. La première, la seule qui compte aux yeux de son auteur, commence en décembre 1948, le jour de Noël exactement. Cette voie va conduire Roger Laporte vers une expérience absolue.Trois textes d’abord paraîtront, ancêtres de l’œuvre à venir : Souvenir de Reims, Une migration et Le Partenaire. Mais c’est avec la publication de La Veille, en 1963, que débute ce qui deviendra une « Biographie ». Huit textes suivront jusqu’en 1982 et les neuf seront rassemblés bien plus tard par P.O.L au sein d’un volume intitulé Une vie. Cette voie-là explore l’écriture au moment où elle a lieu, elle tente de saisir cette « vie inouïe » qu’on ne touche ou croit toucher que lorsque l’écriture « a lieu ». Nous y reviendrons.
La deuxième voie n’est pas si éloignée que ça de la première.Elle est constituée des textes d’études que Roger Laporte consacra à des écrivains, des peintres et des musiciens dont il a partagé, par son expérience, la biographie spirituelle. La troisième voie, enfin, est celle qui vaut aujourd’hui à son auteur de faire un retour dans l’actualité après plusieurs années de silence.C’est celle des Carnets, cahiers d’écolier, qui reçurent de 1948 à 1971 la trace d’une vie entièrement tournée vers la recherche de cette écriture à laquelle l’homme consacra sa vie.Les carnets n’avaient pas vocation à être publiés mais ils sont pour nous d’une aide précieuse pour comprendre ce vers quoi l’œuvre profonde nous engage.
Radicale, l’écriture de Roger Laporte n’admet ni l’anecdote ni la futilité. Il s’agit toujours d’aller au plus près d’une source dont l’existence elle-même n’est pas avérée. On convoquerait facilement les grands mots pour évoquer ce centre vers quoi l’on progresse : la Vérité, la Vie, Dieu ; à quoi immanquablement il faudrait ajouter l’hypothèse de leur absence respective. Il n’y a en effet, au bout de ce long voyage que relate Une vie peut-être ni Vérité, ni Dieu, ni Vie ; et dès lors c’est cette absence de toute chose qui terrifie.
L’œuvre est difficile aussi en cela même qu’abstraite (comme l’est la peinture de Klee que l’auteur affectionne) elle se révèle en tant qu’elle-même, sans référence à un monde extérieur dont elle essaie de s’extraire.
Difficile, enfin, cette œuvre l’est aussi parce qu’elle nous fait frôler des gouffres, parce qu’on devine, à vouloir entrer dans chaque phrase, qu’on risque de ne plus pouvoir jamais en sortir. Impression analogue à celle du plongeur en mer, qui, presque à court d’oxygène, se lance dans l’exploration d’une grotte souterraine. Le boyau est ici un labyrinthe épuré de toute décoration inutile, « fonctionnel » dans la mesure où en nous perdant il tente de nous amener à une « rencontre ».
S’il faut donc un certain courage (bien moindre que celui qu’il fallut à l’écrivain) pour...
Dossier
Roger Laporte
L’épreuve par neuf
septembre 2000 | Le Matricule des Anges n°32
| par
Thierry Guichard
Un auteur
Un livre