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Poésie De face, sur le motif

septembre 2000 | Le Matricule des Anges n°32 | par Emmanuel Laugier

Depuis presque vingt ans, Nicolas Pesquès poursuit, à travers vers et proses, le tressage infini d’un motif : Juliau, colline ardéchoise, face nord.

Tout commence donc par une colline, Juliau, massif ardéchois, et par la tâche de s’y tenir. Non pas que Nicolas Pesquès ait décidé de réduire cette montagne, là, en face, au choix de son propre désir, ni même qu’elle ait été simplement élue, ou érigée, mais plutôt, comme il l’écrivait dans le premier volume de La Face nord de Juliau : « Face à l’inconnu, à ce qui toujours résiste et reste à dire, le désir vient du harcèlement et de l’obstination… du retour entêté, d’assaut en assaut, vers cela : l’inépuisable (…) ». Point axial, inachevable, par lequel passent le temps et l’espace, Juliau (vol. 1, 1988), portera en sous-titre, significatifs, ces quelques mots : Tombeau de Cézanne. Ainsi, du peintre qui, passé cinquante ans, reviendra à la montagne Sainte-Victoire comme au nœud de sa propre vie, reprenant inlassablement le dessin de son archéologie, naquit une nouvelle définition du motif. Exit les scènes de genre et les objets élus, sacrés, rhétoriques dont la peinture s’empoussiérait : il faut de l’air, la suspension d’une montagne dans les yeux, une surface massive et silencieuse, pour que la peinture trouve son silence le plus bouleversant. Juliau, ce sera, de même, le motif intempestif de Nicolas Pesquès, les mots contre la brosse. Toutefois, après Cézanne, l’auteur dut défaire toute méthodologie, redéployer en lui la vérité de son face à face avec Juliau. Les premières pages de La Face nord… sont tout à fait claires lorsqu’y est écrit que rien, aucun indice dans la correspondance du peintre, ne put éclairer sa hargne à revenir à la Sainte-Victoire. Rien, sinon que des mots comme « peignant » ou « sensations colorantes » décidèrent avec précision de la singularité des démarches : « Erreur d’avoir cherché dans les écrits de Cézanne un secours face à ma colline, d’avoir imaginé qu’il y aurait plus à apprendre là que du côté de son œuvre ; erreur encore d’attendre une leçon quand il suffisait de la suivre… Erreurs qui m’avaient un moment détourné de Juliau, qui maintenant me poussaient à m’installer en face, bien en face, avec mes cahiers… »
Le tome 3 et 4 de La Face nord de Juliau paraît, en un seul volume. Nicolas Pesquès, d’une discrétion qui aura empêché le divertissement puéril d’écritures trop vertes, à un peu plus de cinquante ans, compte une dizaine de livres, rares par la rigueur et l’exigence qui les ont permis. Des poèmes de L’Intégrale des chemins (André Dimanche, 1993) au superbe Trois Poèmes (Éd. du Limon, 1995), il est dans tous les cas toujours en face, dans l’attention de ce qui saisit, « sur-le-champ », comme il l’écrit dans son nouveau livre. L’expression ne signifiera pas simplement, alors que Juliau traverse de part en part ses livres, l’instant soudain d’une vision, mais que regarder Juliau « établit où je sais plus voir, d’où voir est plus que la vision : le point de vue du temps. (…) Ce sont des secondes brunes et bleues, arpentées ». Ce qui, dans la masse simple d’une colline, excède la représentation que l’on en a, donne à voir tout ce qui fait sa contingence, ses mouvements fugitifs et sa perdurance invisible. Tout passe par la réverbération violente de sa lumière et par ce vide qui, au loin, semble la soulever. Fabrique de verts ou bien râpée sur ses flancs comme un vieux cuir, pente rasée comme une aisselle, Juliau, de ses bougés infinitésimaux aux virevoltes soudaines de son climat, renvoie l’écrivain à une multiplicité d’approches, forçant l’écriture elle-même à un art de la variation comme à celui de l’oubli. A chaque jour sa colline, pourrait-on dire, comme si Nicolas Pesquès tendait un élastique et qu’en son claquement renouvelé Juliau surgissait : pierre de la fronde, neuve et sifflante, la colline est une « terre insondablement verdissante, jusque dans l’herbe, cisaillante comme au premier jour (…). dans l’étonnante brutalité de l’apparition », « électrons inassagis tels la crinière d’herbe au cou de la pente ». Ainsi, du 27 décembre 1993 au 28 août 1995, le journal en prose de Juliau, trois décolle le motif, le réfléchit, jusqu’à consigner ses grottes dessinées comme l’ultime raccordement entre le scribe d’aujourd’hui et ces traces d’hommes millénaires. Une archéologie de la sensation se déploie, un désir entêté de recommencer une origine aveugle, « l’extension d’une pensée accompagnatrice circulant en sous-main depuis des lustres, telle l’ombre d’un versant apportant son autre soleil en plein jour de la face nord ». Juliau, quatre, en six sections de poèmes, fait suite aux proses comme leur négatif flagrant. Là où Juliau montrait sa surface, les poèmes, concentré de matière en boule, en révèlent les dessous, les plis et les nerfs : le vers cisaille comme une pente rocheuse ; il a le côté rêche d’un excrément sec d’animal ; il invente un espace de sens, une rythmique rauque et précise : « Dans la description/je suis une teigne/////…une infusion ». Lorsqu’un vers en anglais glisse en fin de poème (« ESCAPE ESCAPE »), un autre recommence plus haut : « J4 est une course conjuguante/jusqu’au mur/// une brève viscérale/ naïvement trempée de cervelle/// au fil du rasoir// léchant ses équilibres et ses giclées ». Juliau, jusque-là, est une colonne vertébrale plongée dans la grammaire heurtée du poème, ce qui trouble la langue et l’enfonce dans son plus profond silence : pour qu’en remonte une voix, qui n’en finit pas de toucher « le crocher familier de l’indompté/et de l’inguérissable », de toucher juste, « sur-le-champ », le milieu notre propre respiration.

Les T 1 et 2 de La Face nord de Juliau sont également disponibles chez André Dimanche.

La Face nord de Juliau,
trois, quatre

Nicolas Pesquès
André Dimanche
195 pages, 159 FF

De face, sur le motif Par Emmanuel Laugier
Le Matricule des Anges n°32 , septembre 2000.