Antoine devrait entrer dans l’âge adulte, accomplir le destin que l’on réserve aux hommes que l’étude a vernis. Alors, quelque chose grippe : un grain de sable que l’esprit fin mute en plage de souffrance. « Il est écrit dans l’Ecclésiaste que »qui accroît sa science, accroît sa douleur« ; mais, n’ayant jamais eu le bonheur d’aller au catéchisme avec les autres enfants, je n’ai pas été prévenu des dangers de l’étude. Les chrétiens ont bien de la chance, si jeunes, d’être mis en garde contre le risque de l’intelligence ; toute leur vie, ils sauront s’en écarter. Heureux les simples d’esprit. »
Quel est le bel avenir que l’on promet aux jeunes hommes brillants ? Faut-il monter à l’assaut d’une société dont l’arithmétique dégoûte ? Antoine le sait, d’une équation posant ce trop de tolérance et de compréhension qu’il porte en lui, résulte cette asocialité qui lui devient pesante ; l’inconnu, c’est lui, le déprimé qui concourait pour les prix d’excellence. Quand « l’oasis d’une personnalité » ne trouve nulle place au soleil, il reste une chose dit-il : s’annihiler, méthodiquement, par un voyage vers la « stupidité. »
Ce court roman des souffrances du jeune Antoine relate les trois étapes d’un décervelage programmé : comment je n’ai pu devenir alcoolique, comment je n’ai pu me suicider, comment je suis devenu stupide en épousant les mœurs de mes contemporains. Empruntant le registre qui devient marque du Dilettante -ces brefs romans modernes où la légèreté d’un humour parfois potache déjoue la sinistrose d’humeurs à contre-courant- Martin Page, une fois quelques lourdeurs passées, divertira ceux que réjouit la rencontre enfin consommée de Gustave Flaubert et Dany Brillant.
Traquant le stupide qui est en chacun, Martin Page livre un divertissement que l’on peut aimer, sans qu’il efface cette question : face aux grands maux de la littérature, les bons mots suffisent-ils toujours ?
Comment je suis devenu stupide
Martin Page
Le Dilettante
218 pages, 99 FF
Premiers romans Aux grands maux, les bons mots
avril 2001 | Le Matricule des Anges n°34
| par
Pierre Hild
Un livre
Aux grands maux, les bons mots
Par
Pierre Hild
Le Matricule des Anges n°34
, avril 2001.