Né en 1920 à Montpellier, François Sentein nous livre tardivement deux volumes de ses Minutes qui couvrent sa jeunesse, entre 1938 et 1943, de dix-huit ans à vingt-trois ans.
Politiquement engagé, il a des idées d’extrême droite, comme il le dit alors, mais il ne se veut pas fasciste. Quant à son orientation sexuelle, elle semblerait le porter vers les garçons, mais sans le rendre insensible aux charmes des jeunes filles. En cela aurait-il été un « libertin » ? Disons-le tout net, s’il y a des attirances, des complicités, un regard érotique divers et vagabond, le journal reste toujours pudique et, en ce sens, il demeure en deçà du titre.
Étudiant, fonctionnaire de responsabilité, journaliste, écrivain, ce diable d’homme dégage une belle impression de vitalité. Montpellier-Paris, zone occupée-zone libre, il bouge, et on le sent autonome par rapport aux siens, farouche défenseur de sa liberté individuelle.
François Sentein connaît nombre de personnalités dont les noms sont alors célèbres ou le deviendront. Pour l’anecdote, on croise Brasillach, et Claude Roy, Cocteau, Blondin ou Montherlant sont des amis de l’auteur. Celui-ci parle de tous les êtres qu’il côtoie plutôt avec sympathie et, malgré son idéologie qui le rattache à L’Action française de Maurras, il ne se montre pas souvent haineux, si l’on met à part une hostilité tenace envers le général de Gaulle, laquelle procède d’une déception.
Il est avant tout sensible aux sentiments de l’amitié, de la fidélité et de l’honneur. Ses idées droitistes mises à part, l’homme est sympathique. Il choisira d’échapper au S.T.O. : l’épisode de sa fuite, sans parler des conseils de Montherlant, pour le coup très sartrien, est rocambolesque. S’il a des idées hélas ! fort répandues à son époque, Sentein n’est ni arriviste ni idéologue, il est cultivé et se veut libre dans un moment difficile et sur lequel nous portons aujourd’hui des jugements hâtifs.
Le charme de cet écrivain, la liberté de ton de ses notations, le fait que l’idéologie n’empêche pas la primauté attachée à l’individu, dans la singularité que le contact d’homme à homme nous permet seul d’appréhender, le lecteur retrouve tout cela dans son comportement à l’égard de Jean Genet. Il admire Genet, il l’aime d’amitié et même d’amour si ce mot n’insinue pas une relation qui n’a sans doute jamais été. L’auteur de Notre-Dame-des-Fleurs n’en a pas fini de ses ennuis avec la justice ; approche le moment où il devra être soutenu par des écrivains pour éviter la relégation qui le menace.
Dans ces lettres où l’éditeur a respecté jusqu’à l’orthographe et dont on nous donne quelques fac-similés, Genet semble très libre face à Sentein. Il lui demande de l’aide, du chocolat ou un peu d’argent, mais surtout il se montre généreux et fraternel. Tout à son écriture et à ses projets de publication, il est en même temps bien présent dans ses amitiés et ses amours. Toujours aussi défiant à l’égard de quiconque a une parcelle, fût-elle minime, de pouvoir. Jean Genet anarchiste ? Au fond, si ces documents devaient être lus politiquement, c’est bien de cette tendance que relèveraient la plupart des individus qu’ils nous permettent d’apercevoir.
Minutes d’un libertin (1938-1941)
François Sentein
296 pages, 145 FF
Nouvelles minutes d’un libertin (1942-1943)
François Sentein
480 pages, 195 FF
Lettres au petit Franz (1943-1944)
Jean Genet
144 pages, 90 FF
Le Promeneur/Gallimard
Domaine français Genet et son petit « Franz »
avril 2001 | Le Matricule des Anges n°34
| par
Jacques Goulet
Trois livres témoins, subjectifs et fraternels, éclairent la personnalité de Jean Genet et révèlent celle, surprenante, de son ami François Sentein.
Des livres
Genet et son petit « Franz »
Par
Jacques Goulet
Le Matricule des Anges n°34
, avril 2001.