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Poésie La voix durcie de Mandelstan

avril 2001 | Le Matricule des Anges n°34 | par Emmanuel Laugier

Ayant entrepris de traduire l’Œuvre de poésie complet d’Ossip Mandelstam, l’un des plus grands poètes russes du XXe siècle, Henri Abril en publie le second volet : Les Poèmes de Moscou (1930-34). Événement.

Les Poèmes de Moscou (1930-1934)

Les Poèmes de Moscou (1930-1934) sont sans aucun doute les poèmes centraux de l’œuvre de Mandelstam. De 1928 à 1935, tout arrivera à Mandelstam comme ce qu’il nommait lui-même, avec une conscience tout à la fois aiguë et ironique, son destin : pour le pire bien sûr, et aussi parce que c’est durant ces années que son écriture se détache de la métrique classique qu’il employait comme une sorte de calque de l’expression du sens (ce que l’on appela sa « poétique sémantique »).
Mais repartons un peu plus en avant : le 7 mai 1937, isolé par Staline à Voronej depuis la fin de l’année 1934, Iossif Emilievitch Mandelstam écrit à sa femme Nadejda dont il est alors séparé : « je suis complètement anéanti. J’ai même laissé tomber les poèmes. Je ne tiens pas en place » (Lettres, Actes Sud, 2000). En mai 1938, il est à nouveau condamné à cinq ans de travaux forcés pour activités contre-révolutionnaires. Le 12 octobre, il arrive au camp de transit de Vtoraïa Retchka (« Deuxième rivière ») près de Vladivostok. Le dix novembre 1938, il écrit à sa famille : « Santé très faible, épuisement extrême… ». Ce seront ses derniers mots. Lorsqu’on sait comment le pouvoir stalinien s’acharna contre cet homme, transformant en moins de dix ans le visage d’un jeune homme en tête de bagnard, on comprend que l’épuisement dont il parle n’est pas une coquetterie de petit écrivain souffreteux, mais celui du poids de toute l’Histoire… Toutefois, il semble que ce soit l’Épigramme contre Staline, écrite en 1933 et lue devant quelques amis, qui signera sa mort : « Ses doigts, comme des vers, sont très gras et épais,/ Et ses mots de cent poux ne vous ratent jamais,/ Ses moustaches de cafard semblent rire,/ Et brillent ses bottent de tout leur cuir ». D’une violence et d’une précision âcre jusque dans le rythme et le choix trivial de son vocabulaire, Mandelstam y concentre toute la logique de persécution d’un homme et d’un régime : à partir de 1920, il est en effet arrêté à plusieurs reprises, privé de vrai logement, suspecté constamment. L’affaire Gonfeld (1928) pour laquelle il est accusé de plagiat de traduction l’accable au plus haut point. Tout cela se passe, paradoxalement, alors que le poète fait salle comble, lit régulièrement, est accueilli pour des soirées uniques, publie articles, essais, livres de poésie. Là encore, la machine du pouvoir fait son travail souterrain, depuis les premières saisies jusqu’à la relégation de trois ans (1934) et l’interdiction de séjourner à Moscou, Léningrad, etc. Face à cela, Mandelstam ne cesse de se durcir. Il écrit dans « l’excroissance folle », « sans permission », jusqu’à même dire, dans La Quatrième Prose (1930) qu’il « travaille à la voix, quand cette saloperie de meute en rage autour de moi écrit, écrit ». Ceux qui écrivent tant, ceux qui ont « la rage littéraire », pour reprendre son expression, ce sont les médiocres écrivains du Parti, dont Alexis Tolstoï, le thuriféraire de Staline. Ainsi Mandelstam durcit sa voix, et la voix de son écriture entre 1930 et 1934 donne ce que l’on appellera Les Poèmes de Moscou. Ils sont divisés en deux cycles, le cycle « bouddhique » en « vers blancs » né au cœur de l’été 1931 et les poésies prémonitoires de la terreur stalinienne et de l’exil sibérien du « cycle du loup ». C’est dans ces années qu’il touche par la voix la « crête de la vague du temps », c’est-à-dire à ce qui fait que la voix inscrit toute la rumeur bégayante d’une époque en elle. Son traducteur, Henri Abril, précise dans ses « scolies » qu’après une période longue de presque cinq ans de silence, durant lesquelles la réalité stalinienne devient évidente à ses yeux, Mandelstam se débarrasse définitivement d’un lyrisme abstrait et hors du temps. C’est la concrétude matérielle de ce sol russe, et arménien (où il voyage en 1930), qui affecte sa langue. Il passe là par le « purgatoire de la métamorphose ». Déjà, La Quatrième Prose, ses essais, mais surtout Le Sceau égyptien (dont la tension lexicale est remarquablement rendue en français par C.B Levenson, L’Age d’homme, 1972), puis Le Voyage en Arménie, en donnent une impression fulgurante. Le cycle des Poèmes de Moscou s’ouvre donc par une magnifique série titrée sèchement Arménie : « Sabots claquant sur la granit porphyre,/ Le petit cheval paysan trébuche/ Et voudrait grimper sur le socle chauve/ De la pierre publique et si sonore./ Derrière lui, avec leurs ballots de fromage,/ Des Kurdes haletants se précipitent… ». Le principe de traduction général d’Henri Abril, comme il le précisait déjà dans Les Poèmes de Voronej, consiste, selon l’expression d’Antoine Berman, à « ouvrir l’Étranger en tant qu’Étranger à son propre espace de langue ». Ce qui signifie une éthique de la part du traducteur : la recherche d’une manifestation conjointe du sens et de la forme, ce que le premier traducteur d’Ovide, Charles Fontaine, au XVIe siècle, appelait la « robe, le corps et l’âme ». C’est rendre au texte la « littéralité charnelle » par laquelle passe la nouveauté d’une saisie du monde et l’expérience que le poète en aura eu. Henri Abril se tient à ce programme et parvient à tenir, dans un clair-obscur savamment mené, ce qui de Mandelstam oscille en permanence entre la volonté du sens et l’éclat lapidaire de l’ellipse. Tâche ardue que l’on aurait aimé voir davantage comparée et justifiée, dans les notes-mêmes, à d’autres versions. On pourra, par exemple, préférer, dans Impressionnisme, que des ombres sur une toile soient comparées nettement par un « On se dit : des cuisiniers/ flambent des pigeons gras » (Tatiana Roy) à : « Des pigeons gras, aurait-on dit,/ Qu’au four les cuisiniers apprêtent » (Abril). Et cela parce que l’ombre tournent plus violemment avec la flambée du premier exemple. Mais, inversement, Henri Abril traduit fortement le travail du peintre dans les premiers vers du même poème : « C’est la syncope des lilas/ Et comme des squames… » quand d’autres traductions l’affadissent. Les Poèmes de Moscou, publiés intégralement pour la première fois, comprennent également différents cycles autour de la poésie russe, allemande et italienne, dont sa traduction des Sonnets de Pétrarque. Ils rendent compte de l’attention que Mandelstam portait à la culture, lui qui croyait à la force intempestive des grandes œuvres. Ainsi, dans tous domaines, Ossip n’écrivait pas, mais il « couturaillait » dans le temps des météores de mots. Ce fut sa revanche.

Les Poèmes de Moscou
(1930-1934)
Ossip Mandelstam
Traduit, annoté et présenté
par Henri Abril
Circé - 320 pages, 140 FF

La voix durcie de Mandelstan Par Emmanuel Laugier
Le Matricule des Anges n°34 , avril 2001.
LMDA PDF n°34
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