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Égarés, oubliés Armel Guerne, un poète absolu, par Jean-Dominique Rey

avril 2001 | Le Matricule des Anges n°34

Poète, traducteur, résistant, opposé à tout conformisme, luttant contre la maladie, Armel Guerne (1911-1980) aura été un rebelle à l’état pur.

À l’exception de la belle et récente Anthologie de la poésie du XXe siècle de Jean-Baptiste Para (Gallimard, 2000), on chercherait en vain le nom d’Armel Guerne dans ces recueils collectifs qui recensent et choisissent les poètes de notre temps. Il ne figure pas davantage dans la plupart des dictionnaires biographiques. Il est pourtant un poète remarquable et l’un des deux ou trois plus grands traducteurs de ce siècle. Un phénomène explique l’autre : on n’accorde presque jamais deux talents à un même individu.
Né en 1911 à Morges, en Suisse, mais de souche bretonne, Guerne aura peu fait pour occuper une place dans son temps ou pour gagner une renommée : « Je voudrais me glisser sans un soupir/ Hors de ce monde et sans un cri », notait-il en 1968. Ses choix étaient absolus, ses jugements sans appel, sa rigueur sans faille. Et son époque, à ses yeux, méritait plus de dérision que d’admiration : « Être de son siècle, c’est être idiot naturellement et surnaturellement. »
De traducteur aussi universel, je n’en vois qu’un autre : Paul Celan. À cette nuance que Celan était davantage porté sur les poètes de son siècle, Guerne, lui, plus attiré par le romantisme et le XIXe siècle. J’ai connu l’un et l’autre, j’aurai dû les mettre en présence -ils ont été voisins, mais avec un léger décalage. Lorsque j’allais voir Guerne rue de la Montagne Sainte-Geneviève, Celan venait de quitter la rue des Écoles. Pourtant, leur lien avec l’allemand aurait pu les rapprocher. Chez l’un, langue d’enfance sinon tout à fait maternelle, elle restait celle des bourreaux -on connaît son vers fameux : « Der Tod is eine Meister aus Deutschland » (« La mort est un maître d’Allemagne ») et cette langue, celle de sa poésie, il ne cessera de la subvertir et de la déraciner. Quant à Guerne, résistant actif et traducteur remarquable, après l’avoir définie : « une langue d’ombre à laquelle les hordes sombres sont soumises », il pensait que l’Allemand « est orphelin dans sa langue » et définissait les poètes romantiques d’outre-Rhin comme des « flammes vivantes levées contre elle dans le sens de l’Homme ».
Énumérer les traductions d’Armel Guerne c’est faire le tour du monde, de la littérature sacrée aux romantiques allemands comme aux grands romanciers anglo-saxons. Qui d’autre pourrait s’enorgueillir d’avoir traduit Hölderlin, Novalis, Kleist ou Rilke, et Martin Buber, Shakespeare, Melville, Stevenson et Virginia Woolf, ou Lao-Tseu, les Mille et une nuits et Kawabata ?
Dans son intransigeance, il soutenait parfois qu’Hölderlin était le seul poète d’Occident, le seul à posséder une voix, à se souvenir dans sa poésie de ce langage parlé qui précéda l’écriture. Cette intransigeance on la retrouvait chez l’homme comme chez le poète – il ne faisait aucune différence entre son activité de traducteur et d’écriture – se définissant ainsi : « Je n’ai pas de diplôme universitaire parce que j’ai poursuivi des études sérieuses ; je n’ai pas fait de service militaire parce que je me suis sérieusement battu ; et parce que j’ai sérieusement travaillé, j’ai échappé aux petites grandeurs de l’actualité. »
Entre 1941 et 1942, il tient un virulent Journal (récemment paru aux éditions Le Capucin, Lagarde Fimarcon, 32700 Lectoure), texte de recherche marquée par la véhémence d’un Léon Bloy bien accordée à ces années terribles et par la lecture de Paracelse. Entré en résistance dès 1942, second du réseau Prosper sous le nom de Gaspard – comment ne pas songer à Gaspard de la nuit ?– Guerne compose son premier recueil important, Mythologie de l’homme dont une édition anonyme « pour raison de combat » est projetée pendant la guerre mais ne paraîtra qu’en 1945 (La Jeune Parque). On peut y voir l’équivalent plus secret mais également exigeant des Feuillets d’Hypnos de René Char. Arrêté par la Gestapo, il s’évade d’un train de déportés en 1944 et gagne l’Angleterre via l’Espagne.
Lorsque je le rencontrai chez Plon, vers 1955, il était attelé à l’interminable traduction de L’Histoire des peuple de langue anglaise de Churchill, terrible pensum lui permettant de vivre. Il venait de publier La Nuit veille (Desclée de Brouwer, 1954), où rêve et poésie se rejoignent lucidement. D’emblée on remarquait le personnage. Visage osseux, tendu, creusé comme une montagne, un peu à la Giacommetti, et que soudain délasse un rire sans bornes, un rire de caverne devenant un rire de fleuve. Visage gris, comme la pierre des ravins, comme la face éteinte des astres, mais qu’anime soudain des muscles, un regard qui sonde comme la flèche. Bientôt regard et rire se rejoignaient. Rentrant un jour dans mon bureau, moitié sérieux, moitié souriant : « Rassurez-moi. Dites-moi que ce n’est pas vous qui venez de publier un roman ? » Sous prétexte d’homonymie, il s’inquiétait… avec une rigueur qui me rappelait André Breton. Ses romans à lui, c’étaient ses rêves, ceux qu’il note dans La Nuit veille.
Souvent, j’allais rue de la Montagne Sainte-Geneviève où il vivait dans un modeste entresol encombré de livres comme un reclus lucide, sans complaisance mais non sans humour. Celui-ci, chez lui, était corrosif et combien de fois n’avons nous pas ri en évoquant des personnages emboutis dans leur sérieux. De cet humour féroce, gageons qu’on retrouvera plus d’un écho dans ses lettres à Cioran (à paraître, Le Capucin éd.). En 1957, il obtint grâce à Henri Hell, de publier chez Plon Le Temps des signes, son premier vrai recueil de poèmes, cadastre de son parcours où s’entrecroisent la rigueur et l’acuité, la force et le cri pour celui « qui tient la poésie pour le langage essentiel, le seul possible dans le péril spirituel où s’enfonce et se perd l’humanité. »
Lorsqu’un peu plus tôt, il avait écrit « Certains êtres sont nés pour le drame avec des facultés disproportionnées… ils sont l’enfer et le ciel déchirés et ils ne comprennent que le grand » (Les Veilles du prochain jour, Le Capucin, 2000), il semble qu’il définisse la trame même de son existence, existence difficile sans cesse heurtée à la douleur, à la malchance et pourtant menée jsuqu’au bout avec la même dose de volonté, d’exigence, de refus et d’implacable rigueur. Jusqu’au dernier mot proféré avant de mourir, en 1980 : « Non ! »
A-t-il su qu’il eût, au XIIe siècle, un prédécesseur homonymique, un certain Guernes de Pont Sainte-Maxence, auteur d’un poème sur Thomas Becket ?

(Jean-Dominique Rey, écrivain, cf. Lmda N°32)
Une rétrospective Guerne aura lieu à Charleville-Mézières au printemps.

Armel Guerne, un poète absolu, par Jean-Dominique Rey
Le Matricule des Anges n°34 , avril 2001.