Le plus volumineux des livres de Rick Bass raconte l’amour, la nature, la vie, le monde. Et fait sentir le souffle vif des terres du Grand nord américain.
Qu’est-ce qu’il fait froid ! Un froid inhumain, permanent, spectaculaire immerge tout le roman dans une blanche atmosphère glaciale. Même sur l’Équateur, on aurait envie de lire cette histoire avec des moufles. Une histoire qui tient à pas grand-chose et qui en même temps flirte avec la naissance du monde, rien de moins. Wallis, comme le fut Rick Bass, est géologue. Embauché par un vieux fou malin, il cherche le pétrole dans le sud des États-Unis. Son employeur, Dudley, est une teigne perverse : il envoie Wallis dans les terres septentrionales du Montana, au début de l’hiver (qui dure plus que de saison) afin de prospecter le sous-sol. La perversité réside dans le fait, d’abord, que la terre est recouverte de tant de glace et de neige qu’il est impossible même d’imaginer ce qu’elle cache. Elle réside ensuite dans le fait que, dans ce cul (gelé) de Judas où il l’envoie ne vit que sa fille, Mel, dont le mari est le collègue de Wallis, Matthew. Coupés du monde Mel et Wallis vont passer plusieurs mois ensemble, comme otages d’un hiver menaçant pour l’un, vivifiant pour l’autre. Matthew, lui, restant avec Dudley au Texas.
La montée vers le Nord, au tout début du livre, est un chef-d’oeuvre : Rick Bass, qui fit le même voyage et qui trouva dans les montagnes son destin d’écrivain, nous conduit par étapes successives du grand chaud au grand froid. Arrivé au bout de la route, Wallis ne peut plus que mettre le feu à un cercle de bois qu’il a construit autour de sa voiture et se coucher sous le châssis en écoutant l’essence geler dans le réservoir. Il est sauvé par Mel qui, pour le ramener chez elle, le fait grimper sur ses épaules, avant de dévaler le col sur ses skis. Rick Bass décrit les quinze kilomètres de randonnée à ski, Wallis juché sur les épaules de Mel (« comme s’il avait été attaché jambe à jambe et bras à bras avec quelqu’un qui serait tombé du ciel »), en alternant les points de vue entre le microscopique (les gouttes de sueur qui gèlent sur la nuque de la jeune femme) et l’immensité du monde. Un procédé qui charpente tout le roman.
Rick Bass creuse l’intimité de ses personnages et met au jour les petits signes, les gestes, les silences qui traduisent les sentiments dans le même temps où il embrasse, explore et peint la nature environnante, les forêts où dorment les ours, où chassent les loups. C’est le mystère même de la vie, que, comme un trappeur admiratif, l’écrivain suit à la trace.
Le titre du roman évoque le journal des jeunes années du Vieux Dudley : fasciné par la géologie et l’histoire de la planète, le futur millionnaire refait par la pensée la construction des grands blocs continentaux, le travail séculier de la mer, des glaciers. Nous sommes les fruits des ces millénaires d’érosion, de glissements de terrain, de fonte des neiges. Comme les loups, comme les orignaux que la proximité avec les hommes renvoie aux premiers temps de l’humanité. Le roman court ainsi vers une origine et l’on devine, à lire ses pages lumineuses, étonnantes et souvent sereines qu’elle est, cette origine, liée à la renaissance de Rick Bass, ancien géologue devenu grand écrivain. Là où se trouvait la mer renoue les liens qui rattachent l’homme à la nature et offre au lecteur une leçon du regard et de l’humilité. Une leçon que l’on reçoit comme les élèves de Mel reçoivent ses cours sur les loups et la forêt : les yeux grands ouverts, la bouche bée.
LÀ OÙ SE TROUVAIT LA MER
RICK BASS
Traduit de l’américain
par Anne Wicke
10/18
605 pages, 65 FF (9,91 o)
Domaine étranger La conquête du Montana
août 2001 | Le Matricule des Anges n°35
| par
Thierry Guichard
Un livre
La conquête du Montana
Par
Thierry Guichard
Le Matricule des Anges n°35
, août 2001.