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Poésie La nuit malice et sa souris

août 2001 | Le Matricule des Anges n°35 | par Emmanuel Laugier

Complication du sommeil

Avec Complication du sommeil, son troisième livre de poésie, Jean-Patrice Courtois veille, d’une voix douce, à rafraîchir l’esprit de l’enfance.
Il faudrait dire de la poésie de Jean-Patrice Courtois ce que René Char disait, en 1950, de celle de Jacques Dupin : qu’elle a « l’importance que l’on aurait justement refusée aux confidences d’un simple mal d’enfance ». Il faut répéter cette phrase pour cet auteur qui, à 46 ans, depuis Vie inverse (1992), Hors de l’heure (1995, tous deux chez Deyrolle) et Complication du sommeil, lance dans le paysage poétique actuel quelque chose qui ne renvoie à rien, sinon à lui-même. Ce mouvement pousse à voir dans le travail de Jean-Patrice Courtois une force, parce que s’y marquent les mouvements de fond d’une véritable écriture, d’où le coeur d’une conscience, la résonance d’une voix singulière.
C’est encore ce qu’il tente avec Complication du sommeil. Le ton sera donné, immédiatement : « s’il dort/ et sans la souris dort/ il oubliera même/que rêve il/ y a eu et/ les rêves vont s’en/ iront se cacher/ à la/ cave deviendront/ rares ». Qui, dort ainsi, avec sa souris ? Bien sûr c’est l’enfant à qui l’on a offert une souris musicale. Et que vient-il faire l’enfant dans le poème, avec plus haut, au-dessus de son oreiller, sa souris ? Et bien rien que donner à sentir son état d’être, tout simplement. Parce que l’enfant est un endroit de vie par lequel passe un rapport de vie. Rapport que la souris, sa petite souris mécanique et musicale accompagne et figure dans tout le livre. L’enfant n’y sera donc plus du tout perçu comme un moment d’existence, mais comme celui qui veille (sur nous) et garde un rapport au langage des animaux et aux choses muettes. C’est là aussi que la souris intervient : elle est là quand l’enfant s’endort, et surveille le long des rêves tout ce qui viendrait le déranger. Elle est dans l’entre-deux temps : « tout/ reposant il/ partage l’oreiller/ avec elle mais elle/ ne le partage pas/ elle avec lui elle/ entoure plutôt le/ duvet de toute/ sa respiration ». La peur, le cauchemar, etc., bien sûr, elle connaît tout cela puisqu’elle ne dort pas durant le sommeil de l’enfant. Elle vit au contraire dans le temps d’une attention flottante, qui est aussi une perception fine de l’étrangeté : « elle n’a/ pas besoin de/ se cacher elle ni/ d’entreprendre tous/ ces grands voyages de/ l’esprit d’enfance où/ nous ne nous/ souvenons plus nous/ d’être allés faute/ d’avoir nous gardé le/ langage muet de/ nous en nous vers/ et nous depuis sommes/ ne savons plus traduire », à quoi répondra encore, plus loin, cette tâche, qui fait l’exigence et la précision extrême du poème de Jean-Patrice Courtois, son déroulé syncopé : « vigie somniaque lui jusqu’à/ suivre du regard son très/ stable regard à elle et très/ gris jusqu’au sommeil qui le/ vainc quand même à la/ fin et le plonge aussi alors tête/ la première dans tout/ cet entrelacs serré secret de/ rêves où son/ repos chante/ qu’il dort ».
Trois parties composent Complication du sommeil. Si l’on peut essayer de saisir son organisation, on dira que la première expose, déplie et travaille une situation concentrique : « Un enfant s’endort tous les soirs, une souris à musique avec lui ». La deuxième file le fil de ce rapport spécial entre l’enfant et la souris. Autrement dit, elle cherche à explorer le savoir-faire de la souris dans son entre-deux de temps invisible : sommeil, monde du rêve, puissance des voyages somnambules, traces ou aura de ce qui reste d’une vie très lointaine et, pourtant, pas niable du tout, sauf à revenir à la vieille langue diurne (celle des mythes, de la mainmise, de l’économie et de la norme) : « la vieille langue c’est/ celle qu’elle/ ne parle plus/ guère n’entend guère/ plus non plus/ parler et n’ose/ plus trop non plus se/ la parler parlant seule/ sans doute pour/ mais pas sûr/ ne pas réveiller le/ souvenir sans/ l’oubli le fond/ d’intime qui/va avec va/ avec ». La souris ne réveille sa propre langue que parce qu’elle a oublié la langue passée. En gommant les vieilles phrases, elle rend possible son rapport à l’enfant qui dort sur ses deux oreilles. Voilà sa tâche.
Celle qui revient à la troisième partie, au livre lui-même finalement, consiste à dire combien le sommeil est une complication. Seule, en effet, la perception aiguë de cette complication, inévitable pour les hommes, rend nécessaire, « sans/ style sans/ incrustation sans/ parade », le propos et le rapport développé de ce grand jeu entre l’enfant et la souris : « ce que dit la souris est/ dit et doit être dit et/ ses dents ne tremblent/ pas son expression/ est nette sa/ rage est calme claire/ même tant que même son/ mutisme s’entend/ bien dans la/ nuit noir épais ». Et plus loin encore, ce que fait la souris devient ce que l’on n’atteint pas ni ne maîtrise : « ce qu’elle (la souris) fait ne/ peut pas/ entièrement pas/ du tout même se/ dire comment/ nommer sinon alors ce/ devoir veilleur de tout un/ hiéroglyphe nocturne in/ déchiffrable lumineux sombre et plus/ intact que tout ».
On comprend qu’écrire alors, pour Jean-Patrice Courtois, c’est être dans le rapport tenu de ce « devoir veilleur de tout un/ hiéroglyphe nocturne ». La voix du poème est ainsi très douce. Elle n’oublie rien dans sa relation de l’enfant à la souris. Et pourtant elle se permet de ne pas savoir qu’une autre voix de l’enfance se parle à l’intérieur du livre. Dédoublée du corps endormi de l’enfant, elle se lève, farouche et libre alors sous le regard-loupe de la souris. C’est celle-là même qui mène l’auteur, pourtant si finement avisé, à son insu. C’est là justement, dans cette incontrôlable troisième voix, que Jean-Patrice Courtois nous touche, comme un enfant hors du regard de la tutelle, s’échappe dans la forêt pour goûter timidement au monde, effleurer -émerveillé et naïf- une liberté enfin inaliénable. Si Jean-Patrice Courtois sait si bien cerner le voir du non-vu, dans le mécanisme précis de ses poèmes tout comme dans ses essais sur Ponge, Benjamin, Pina Bausch ou Montesquieu, il nous offre, comme Henri Michaux ou Ghérasim Luca, la partie la plus libre et fraîche de l’esprit d’enfance : être là ici maintenant tout de suite. Quoi de plus essentiel ?

COMPLICATION
DU SOMMEIL

JEAN-PATRICE COURTOIS
Circé
96 pages, 90 FF (13,72 o)

La nuit malice et sa souris Par Emmanuel Laugier
Le Matricule des Anges n°35 , août 2001.
LMDA PDF n°35
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