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Poésie Rentrer dans le vif

septembre 2001 | Le Matricule des Anges n°36 | par Emmanuel Laugier

Poète, prosateur et essayiste, François Boddaert nous embarque là où l’auteur se montre le moins : dans l’intimité de la machine poétique. Vain tombeau du goût français ou la machine de guerre, des corps, de la langue et de l’Histoire.

Vain tombeau du goût français

François Boddaert est l’homme d’une discrétion qui ne l’empêche pas d’user de l’art de l’ironie comme d’un fleuret habile : zébrant d’un Z ce qui n’est à ses yeux que pures vanités, fausses vertus, petites infamies du coeur et de la raison, arrangements fallacieux de l’Histoire et de ses médiateurs de tous bords. Ne termine-t-il pas l’avertissement de son nouveau livre Vain tombeau du goût français par cette citation, de fait, très actuelle : « Mais sois fin et avisé en lés faisant (les vers), afin de ne tomber au vice de je ne say quelz, non Poetes, mais rymeurs (…), et ne creignent tous lés jours de publier rymasseries, qui ne meritent nom de Coqs a l’asne (…) ». C’est signé Thomas Sébillet, grammairien renaissant, auteur d’un Art Poétique François (1548) pas piqué des vers. À bon entendeur salut, semble dire Boddaert…
Souvent affublé d’un cigare, celui qui dirige les éditions Obsidiane a le rire soudain et sonnant (ça canarde sec) qui surprend aussi bien qu’il rassure : car l’homme est un faux misanthrope, ou un misanthrope sachant se reconnaître pour être, d’abord, bien accompagné. Et un vrai moraliste, au sens pascalien.
C’est de là qu’il tire peut-être sa rigueur, celle de la recherche d’un vers qui invente son rythme dans la basse continue du monde et de l’Histoire se faisant. Celle de son doute et, par contrecoup, celle d’un art de la pointe qui est aussi bien l’art du coup de corne que de la véronique. Agudeza, disait l’écrivain espagnol José Bergamin, pour exprimer la passe taurine dans son événement et son risque ; autrement dit « dar de agudo » : entrer dans le vif. Car la poésie de François Boddaert rentre bien dans le vif, et dans celui du corps, le nôtre et celui des peuples, des conquêtes ou des pendus. Vain tombeau du goût français, recomposition et réécriture, au sens fort des termes, de livres précédents (Tombeau du goût français1 ; Ce livre de malheur, et des corps2 ; Flanc de la servitude3) n’échappe pas à la règle. Mais pourquoi redoubler le tombeau qui, déjà, est pour le mort sans effet, d’un autre constat d’inutilité ? Est-ce l’Histoire, telle qu’elle apparaît au détour de ce livre, qui s’avère définitivement sans effet sur les hommes ? Ou bien le sens d’une acceptation de la poésie comme art suprême du sans effet. Peut-être les deux à la fois puisque la poésie de François Boddaert interroge aussi bien la langue, ses structures, « ses niveaux d’écriture, du vulgaire au savant, du baroque à l’argot », qu’elle y fait place, dans le sens véritable d’une inscription questionnante, à l’Histoire et à nos histoires (« vies minuscules » dirait Pierre Michon), à tous les corps, l’élevé et le chuté, le pourri dans les tranchés de 14-18 et celui de l’inconnu qui frappe à la porte. Vain tombeau… parle justement de cet inconnu, pour qui dans les campagnes, on gardait une assiette de soupe : « Le dol, la douleur et le don de douceur,/ ce peut être une table que l’on nettoie/ avec une infinie patience, et les miettes/ que l’on va jeter dans le feu lorsque quelqu’un surgit/ (on ne l’attend pas) s’encadre dans le chambranle (…) ». Toute la question de la première partie du livre (Dans la version d’Oxford) est celle de l’hospitalité au sens éthique du terme. Et de poursuivre encore avec elle : « Le maître n’est pas là mais/ l’on vous servira le canard au sang,/ le vin léger, les grasses tommes./ Et vous levez un verre à sa santé ». Mais tout se renverse un peu plus loin, et c’est une autre époque pliée dans le même récit qui apparaît : « Vous n’êtes pas un peu dingue, vous savez l’heure qu’il est !/ mais la voiture s’est enlisée dans le sous-bois,/ la boue jusqu’aux essieux ; il faut téléphoner (…)/ La porte se referme sur tel malentendu./ Le relais le plus proche -au diable sous la pluie (…) ».
Voilà pour la façon dont se tresse « l’ancienne histoire du choix et du regret » à celle d’une trop présente époque où, à défaut du récit de la « précieuse dague » chevaleresque, on aura un documentaire : « Et la moto déjante sous la pluie./ Cent fois sur le seuil moite, on reprend la chronique. » Voilà aussi une façon d’inscrire la vertu dans le poème et la nécessité de convoquer la mémoire dans l’écriture, à travers tous les temps, pour la greffer au présent, nous, ici, maintenant. Vain tombeau… fait place à tout cela, à tort et à travers, et en même temps. Ainsi dans la troisième partie (La Pompe magnifique de l’onction) on y prêche la haine des tyrans : « La chemise est blanche, très échancrée./ Les regalia tombent, une à une :/ le manteau bleu brodé des lys d’or,/ la couronne sans épines ». Ailleurs, « Le coutelas suinte près du feu/ la garde en nage ; la langue pend, blanche, entre les crocs…/ la viande sent la peur ». Villon se promène comme un fantôme dans le corps boiteux de Vain tombeau…, il apparaît comme un frère là où est dénoncé l’ « affaire d’infamie,/ la corde à quoi tu pends. » (Flanc de la servitude). Dans Ce livre de malheur, et des corps (1991), ce sont les mésaventures du corps, revers de l’incarnation, ces peste, suicide, accident, guerre… « Hier, on a trouvé dans un maquis latin/ des paysans froussards décapités par deux », à quoi Vain tombeau du goût français répond : « Perdus les cartes, le livret,/ les citations à l’ordre de la patrie consolante, perdus les lettres et le corps ».
Voilà peut-être pourquoi le « tombeau » est dit, à nouveau, « vain » : parce qu’il retend en ses vers, à bras le corps l’Histoire (elle n’en finit pas) qui se voit jusque dans le talon des gueux. Rusant alors « avec les tyrans orwelliens », son mot sera : « Parler de ça -poème d’arrière-/ planqué dans les récits et suintant compassion,/ affronter la conjuration des douleurs ». Parler de ça dans le vif d’un vers à la gueule cassée. Quoi de plus moderne.

Vain tombeau du goût français
François Boddaert
La Dragonne
90 pages, 89 FF (13,57 )

1Obsidiane, 1987
2Le Temps qu’il fait, 1991
3Le Temps qu’il fait, 1995

Rentrer dans le vif Par Emmanuel Laugier
Le Matricule des Anges n°36 , septembre 2001.
LMDA papier n°36
6,50