Histoire d’eaux s’impose comme un jeu de mots éculé, et donc un titre décourageant. C’est dommage, car le récit peut ici séduire. Seize minuscules chapitres y narrent autant de journées du mois de janvier 1910, un mois durant lequel, la Seine ayant débordé, la « rumeur de la ville était remplacée par le ruissellement de l’eau ». De Paris, Emmanuel Pierrat n’évoquera toutefois que le Jardin des Plantes : un jardin dont la splendeur est passée, délaissé par le public comme par les artistes, deux hectares déjà « endormis », un territoire considéré « obsolète » à l’heure où s’élabore fiévreusement le Zoo de Vincennes. Seul, ou presque, à lutter contre l’inondation, le directeur de la Ménagerie, Alphonse Sentinelle. Mais celui-ci veille bizarrement au grain. Traversé qu’il est de substances diverses (absinthe, opium, datura), porté par le courant grandissant de ses hallucinations, le voilà qui s’avise de reconstruire l’Arche salvatrice.
L’évocation du personnage rappelle d’autres figures, toutes échappées du XIXe siècle. « La domestication des espèces les plus dangereuses lui procurait, outre un léger soupçon de revanche, l’espoir que l’homme maîtriserait la nature, s’il ne réussissait pas à l’annihiler » : derrière les dégoûts de Sentinelle comme derrière ses indifférences hautaines - « Il considérait la mélomanie comme une perte de temps : il préférait dix minutes de mauvaise musique à vingt minutes de bonne »-, on voit se profiler l’ombre de des Esseintes et au-delà celle de la littérature décadente. Plus en arrière, on peut même songer à la drôlerie de Bouvard et Pécuchet, notamment lorsque notre Noé improvisé s’avise de relire la Bible pour élaborer une arche en bonne et due forme… puis finit par s’abandonner, passablement défoncé, à une totale improvisation : « Il regroupa les batraciens en un seul lot et refusa de trier les serpents, qu’il précipita en vrac au sein du même récipient, dans un geste de rage biblique ». Certes, le charme de cette historiette s’évapore bien vite, et l’érudition mobilisée peut apparaître assez vaine. Il n’empêche qu’on se marre souvent, l’auteur sachant faire vite et léger. « Les requins dévoraient les mérous, que baisaient les murènes » : de l’art de dépeindre l’apocalypse aquatique en une prose savamment ciselée.
Histoire d’eaux
Emmanuel Pierrat
Le Dilettante
88 pages, 11,50 € (75,43 FF)
Premiers romans Mérous et murènes
mars 2002 | Le Matricule des Anges n°38
| par
Gilles Magniont
Un livre
Mérous et murènes
Par
Gilles Magniont
Le Matricule des Anges n°38
, mars 2002.