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Nouvelles Envie pressante

mars 2002 | Le Matricule des Anges n°38

Organisé par l’association J.Press et ouvert aux francophones du monde entier, le 9e concours en direct "3 h pour écrire" a réuni en octobre dernier 1200 jeunes auteurs âgés de 15 à 30 ans autour du thème "Envie pressante". Partenaire de l’opération, Le Matricule des Anges publie l’un des textes primés, celui de Nafissatou Dia Diouf. Il a 26 ans et habite Dakar.

ture. En montant sur le ring, Fokolé avançait d’un pas claudiquant. Son moignon de bras, à vif, le faisait souffrir, bien plus que la faim qui le tenaillait depuis bientôt une heure. La douleur se faisait encore plus vive mais l’excitation était bien là. Il lui fallait de la chair. Et il avait tout essayé, enfin presque. Et chaque fois, le plaisir était allé grandissant. Il restait cependant une limite qu’il n’avait pas franchi. Et si ce soir…
L’après-midi était déjà bien entamée et le soleil terminait sa folle course vers un horizon hésitant.
Il se souvint avec délice de son festin de la veille : un agneau bien tendre mais déjà grassouillet, tiré d’un enclos voisin à la faveur de la nuit, sommairement dépecé et goulûment happé en quelques minutes. Mais il eut à peine le temps de suçoter le dernier os que le propriétaire, alerté par les cris stridents de la bête, déboula comme une furie, gourdin à la main et Fokolé dut s’enfuir. Telles étaient les vicissitudes de la vie de paria : on n’avait jamais le droit de digérer dans le calme.
Il était encore en train de se lécher les babines quand la douleur de sa plaie se réveilla et le tira de ses rêveries. Il clopinait toujours à la recherche de sa pitance. La faim lui vrillait le ventre. Les paroles de sa femme lui revenaient à l’esprit :

 On ne peut rien garder ici ! Ni dans le frigidaire ni dans le garde-manger. Je fais les courses chaque jour et chaque soir, il ne reste même pas un quignon de pain pour le chat !
Et elle soupirait exaspérée. Chaque nuit, c’était la même rengaine et chaque matin, la même complainte.

 Mais comment va-t-on s’en sortir ? Les enfants maigrissent à vue d’oeil pendant que toi, tu ne passes même plus par l’entrebâillement de la porte.
Elle gémissait, tournoyait, maugréait encore et encore. Le jour où elle le surprit colletant le chat d’une main, empoignant un couteau de l’autre, elle le mit à la porte sans autre forme de procès. Voilà de ça plusieurs mois. Et depuis, l’errance. Loin d’être une période de pénitence et de vaches maigres, c’était une formidable occasion de se nourrir de toutes sortes de rats, de chats de gouttière, de batraciens. Il avait une nette préférence pour les animaux à sang chaud, mais ne répugnait pas une bonne grenouille comme entrée.
Depuis quelques semaines, il avait fait une nouvelle expérience. Plus périlleuse mais… tellement excitante ! Fokolé avait commencé à se manger lui-même, par petits bouts, juste pour goûter. Et c’était…divin ! Il se gardait bien de toucher aux organes vitaux et aux fonctions motrices. C’était toute une technique : il prenait par petits bouts sur le gras, mordant à belles dents, malgré la douleur. Puis léchouillait un peu la plaie (la salive n’a-t-elle pas des vertus antiseptiques ?) et la revêtait de ses hardes qui devenaient chaque jour un peu plus grandes pour lui.
Et si ce soir…Car si bon que c’était, l’autophagie avait un goût de trop peu. C’était tout de même douloureux, et quand il aura fini de se manger… Il ne pourra plus manger ! Il fallait qu’il se préserve pour des moments de véritables festins ou de complète pénurie. Et il avait envie d’autre chose, il le sentait sans trop savoir ce que c’était. Une envie pressante, même, pourrait-on dire.
Le soleil avait fini par se nicher derrière une frondaison d’arbres.
Fokolé errait aux abords d’un hameau de maisons isolées. La première était une ferme qui tombait presque en ruine. Pas un agneau dans l’enclos. Une haie ceignait la bâtisse de vieilles pierres. Il escalada péniblement, laissant derrière lui une traînée de boue et de sang. À travers les carreaux disjoints d’une fenêtre s’échappaient des effluves épicés. C’était une cuisine rustique. Sa vue était troublée par la faim et le début de la dégénérescence de son corps. Il ne lui restait plus qu’un bras et ses jambes étaient devenues tellement fines qu’elles ne le supportaient presque plus. Il y avait mangé toute la chair et pouvait à peine se déplacer désormais.
Il s’approcha à pas comptés, comme un vieux chat. Assise à une table, une toute jeune fille s’affairait à écosser des fèves. Son profil se découpait à contre-jour. Elle devait être à peine pubère. Elle était toute à son ouvrage. Un léger froncement de sourcil troublait son visage si pur. Le regard de Fokolé s’arrêta un temps sur son cou gracile pour descendre ensuite sur le bel arrondi de son épaule dénudée. Ses lèvres étaient gourmandes, finement ourlées. Sa lourde chevelure était retenue par un chignon négligemment noué d’où s’échappaient des mèches folles. Tous ses sens étaient en éveil.
Il s’approcha un peu plus, la lippe pendante, l’écume à la bouche. La jeune fille n’eut le temps que de le voir s’effondrer, une patoche sur le carreau drainant un sillage rouge vers le tapis herbeux au bas de la fenêtre.
Ç’en était fini pour lui. Il s’en alla, foudroyé par sa propre gourmandise, rejoindre en enfer les six autres péchés capitaux.

Nafissatou Dia Diouf
(1er Prix « étranger francophone » dans la catégorie 25-30 ans)

Envie pressante
Le Matricule des Anges n°38 , mars 2002.