Il ne s’agit pas, ici, d’esquisser un énième panorama des productions surréalistes, mais plutôt de révéler les derniers feux du mouvement, et d’en comprendre l’apparente extinction. Alain Joubert n’y va pas de main morte : lui qui fut de l’aventure entend régler des comptes et remettre certaines autorités à leur place. Si le 8 avril 1969 eut lieu la nécessaire autodissolution du groupe, c’est qu’une poignée de ses membres prétendait en légiférer l’esprit : la plupart de ces hommes ont disparu, mais « il ne faut plus qu’eux morts leurs mensonges continuent à faire de la poussière ». On reconnaît là une célèbre formule, et l’on s’avise que l’histoire des surréalistes, commencée avec le cadavre d’Anatole France, se clôt par les trahisons de Jean Schuster, prétendu héritier de Breton qu’égratignent des charges variées. Joubert verse au dossier du rare et de l’inédit : correspondances publiques et privées, tracts, photographies.
On peut se lasser des procès, d’autant que la pratique du réquisitoire, consubstantielle au surréalisme, s’accompagne de certaines révérences obligées. Ainsi, si certaines passations de pouvoir sont mises en cause, le fondement de l’autorité n’est jamais interrogé. « Breton disparu, et personne au monde ne pouvant le remplacer (…), il fallait faire que chacun de nous devienne Breton pour les autres »… Ne pas se crisper, toutefois, sur cette phraséologie prévisible : pour l’essentiel, Le Mouvement des surréalistes échappe à l’anachronisme et au par trop anecdotique. Que raconte-t-il, au juste, qui puisse nous toucher ? Qu’à l’heure où émergeaient d’autres feux -tel que le situationnisme- et de nouveaux mots d’ordre -ceux de 68-, les surréalistes -autrefois glorieux, désormais peu connus et peu nombreux- s’interrogeaient sur les modalités de leur survie. Comme leur collectivité se voulait rien moins que culturelle, il importait peu de produire des oeuvres, l’essentiel étant d’être au monde et d’agir sur ce monde par des voies propres. « Il n’y a pas de politique surréaliste possible, car aucun pouvoir ne pourrait donner satisfaction au Surréalisme (…). Le Surréalisme n’a donc aucune forme de pouvoir (ou de quoi que ce soit d’autre) à proposer au peuple. Tout au plus peut-il, négativement, travailler contre le pouvoir pour que le peuple se propose à lui-même quelque chose », rappelle en ce sens Jacques Abeille.
Au désir subversif et à la « rigueur buissonnière » défendus par Joubert, on pourra bien sûr -comme le firent, selon lui, Schuster et ses sbires- opposer l’efficace de certains esprits de sérieux et de système ; il reste que certaines questions ont une telle pertinence rémanente qu’on ne peut tenter d’y répondre sans frémir : « 1. Dans quelle mesure votre appartenance éventuelle à une quelconque institution vous fait-elle devenir cet ennemi (de classe, etc.) que vous prétendez combattre par ailleurs ? 2. Quelles libertés avez-vous prises ou prendrez-vous demain ? Quelles autres remettez-vous à plus tard ? Quelle est la liberté qui vous manque le plus ? 3. Quelle sorte de déraillement mettez-vous en oeuvre dans le courant de votre vie pour vous opposer à l’usure de la répétition ? » Finalement, si Joubert reproduit cette enquête publiée en 1970 (un bulletin de liaison continua de paraître vaille que vaille jusqu’en 76), ou s’il propose comme conclusion provisoire l’intéressante piste d’un rapprochement entre les pensées ennemies de Breton et Bataille, c’est qu’il incline davantage à souffler sur les braises qu’à protéger certaine flamme lointaine.
Le Mouvement des surréalistes
ou le fin mot de l’histoire
Alain Joubert
Maurice Nadeau éditeur
373 pages, 35 euros
Histoire littéraire Rigueur buissonnière
juin 2002 | Le Matricule des Anges n°39
| par
Gilles Magniont
Pyromane plus que vestale, Alain Joubert éclaire de l’intérieur l’issue surréaliste. L’auteur verse au dossier du rare et de l’inédit : correspondances, tracts, photos…
Un livre
Rigueur buissonnière
Par
Gilles Magniont
Le Matricule des Anges n°39
, juin 2002.