Un homme, double romanesque d’Olivier Rolin, raconte à la fille de son meilleur ami ce que furent les années gauchistes. Ils passent une nuit entière à marcher dans Paris, à tourner sur le périphérique. Elle l’écoute avec un sourire dont l’ironie est assassine. Il évoque les blessures des siens, de lui-même surtout. Ils rêvaient d’aube rouge et de héros révolutionnaires, leur génération fit les MacDo et Disneyland. Il se voudrait perdant magnifique, il se sent seulement pitoyable. Les combats des années 60 sont oubliés, rangés au mieux au rayon de l’exotisme d’une époque révolue. Il les lui raconte puisqu’elle veut connaître son père mort trop jeune. Épisodes grand-guignolesques de l’enlèvement d’un général, installation bouffonne d’une radio pirate… Rolin ironise sur le mode tragico-comique où le comique est surtout grinçant. Il y a beaucoup de douleurs dans ce livre jusqu’à la lucidité qui pousse le narrateur à se voir en ancien combattant aigri. Une vision qui s’oppose à celle des jambes de la fille, fraîches comme une image de publicité.
Après son frère Jean qui avait publié L’Organisation (Gallimard, 1996), Olivier Rolin revient donc sur les années qu’il passa au sein de la Gauche Prolétarienne (cf. MdA N°9). À l’humour que maniait le jeune frère pour raconter ses années idéologiques, l’aîné a préféré l’auto-dénigrement et ressuscite un théâtre d’ombres. Reste l’invention d’un père officier, ancien résistant décédé en Cochinchine. Héros manquant, vide originel du narrateur, cet absent à jamais là a nourri l’exigence romantique du fils. Les plus belles pages du livre évoquent cette figure mythique, d’où est partie l’énergie de vouloir changer la vie. On aimerait désormais qu’Olivier Rolin retrouve, dans l’écriture, les armes nouvelles pour déboulonner le monde d’aujourd’hui. C’est dans le combat que les perdants sont magnifiques.
Tigre en papier
Olivier Rolin
Seuil
267 pages, 18 €
Domaine français Crépuscule rouge
septembre 2002 | Le Matricule des Anges n°40
| par
Thierry Guichard
Un livre
Crépuscule rouge
Par
Thierry Guichard
Le Matricule des Anges n°40
, septembre 2002.