Johanna, jeune militante démocrate, fuit l’Allemagne après la catastrophe politique de 1933. Elle se rend chez une amie en Finlande. Celle-ci, Karin, a un frère, célibataire : Ragnar. Une demeure aristocratique abrite cette famille menacée de ruine. Une passion y naîtra au moment où la famille implose et où la stabilité politique de l’Europe est compromise. Cette attirance rapide rapproche deux fortes personnalités qui l’une et l’autre se trouvent en situation de rupture, Ragnar avec sa famille, Johanna avec son pays. Ces êtres sont d’autant plus libres et ont sans doute d’autant plus besoin d’effusions qu’ils se sentent bien seuls et perplexes.
Avec Fuite au Nord, publié en 1934, Klaus Mann nous surprend davantage par la richesse politique du texte que par sa singularité événementielle. Plein de haine et d’amour, ce livre, dont les personnages sont parfois englués dans leurs frustrations, ouvre une réflexion sur les rapports entre l’individu et l’histoire. Car ce roman met des destins aux prises avec un moment de l’histoire si douloureux qu’on se demande toujours quelle eût été notre attitude ; hésitant entre l’attentisme et l’héroïsme, personne ne veut croire qu’il se fût transformé en rhinocéros.
On a précisément quelques beaux portraits de nouveaux rhinocéros. Le cas de Suse, une jeune fille au pair, est emblématique. Ses rares propos éclairent les états d’âme de gens qui excipaient de leur ignorance politique et de leur patriotisme pour partager les espérances qu’une partie du peuple allemand mettait en Hitler. Les incroyables violences nazies les gênant, ils voulaient les ignorer, imaginant mal jusqu’où cela pourrait aller, mais l’enthousiasme collectif qu’on leur donnait à voir quotidiennement les rassurait. Suse dit ainsi : « Alors moi, j’espère surtout être une bonne Allemande (…). Je n’y comprends certes rien (…) mais je sais, pour le moins, une chose : ce que fait mon peuple, guidé par son Führer, est bien -quoi qu’il arrive. »
Après une dispute dans la famille de Ragnar, où des haines se sont exprimées au travers de différends politiques et dans laquelle on retrouve des clivages entre les tenants d’une société ouverte et les partisans d’un ordre strictement hiérarchisé, Johanna et son amoureux quitteront la famille pour une dérive dans le Grand Nord. Les temps à venir étant sombres pour les amants, leur promenade frôlera délibérément les plus grands dangers.
Fuite au Nord
Klaus Mann
Traduit de l’allemand par Jean Ruffet
Le Livre de poche
288 pages, 6 €
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