Aucun grigri ne protège de la folie meurtrière des hommes, pas même le titre ronflant de Chevalier des Arts et des Lettres. Ainsi Emmanuel Dongala n’a jamais pu obtenir de visa pour la France, alors que sa vie, celle de sa famille étaient en péril dans un Congo ravagé par la guerre civile en 1997. Écrivain, professeur de chimie à l’Université de Brazzaville, directeur d’une troupe de théâtre, président du Pen Club congolais, il fut sauvé par Philip Roth qui réussit à lui faire quitter le pays et l’accueillit aux États-Unis. En trois romans d’Un fusil dans la main, un poème dans la poche (Albin Michel, 1973) jusqu’aux Petits garçons naissent aussi des étoiles et un recueil de nouvelles Jazz et vin de palme ((Le Serpent à Plumes, 1996), Dongala a porté un regard lucide, plein d’humour et de tendresse sur des êtres pris dans les vicissitudes politiques de son pays (colonisation, marxisme-léninisme, coups d’État militaires). Avec Johnny chien méchant, la satire laisse place à une fresque réaliste, effrayante, mettant en parallèle deux adolescents que tout oppose pris dans la tourmente d’une guerre civile. Lui, Johnny, encore dans la toute-puissance de l’enfance, vole, viole, massacre pour le compte d’une milice. Elle, Laoké, Antigone noire, fuit l’horreur en transportant sa mère aux jambes brisées, sur une brouette. Les télévisions filment à tout va l’immonde, témoignant surtout de l’impuissance volontaire d’un Occident anesthésié, coupable de non-assistance à peuple en danger.
Si Dongala dénonce ici les conflits ethniques instrumentalisés par des hommes politiques, eux-mêmes manipulés par des multinationales et des marchands de canons, qui déchirent l’Afrique, c’est surtout à la bêtise, l’ignorance crasse, la futilité de la jeunesse qu’il s’en prend, ces dernières véhiculées par le cinéma ou la télévision. Le Panthéon de Johnny comprend des héros hollywoodiens de type Rambo, des ninjas et des chefs ou peuples en guerre extraits de l’actualité mondiale. Ainsi nomme-t-il ses ennemis les Tchétchènes. Son cerveau fonctionne comme une machine à essorer le réel, vérité et mensonges s’y délavent de concert. Pas d’analyse, des sensations et du sensationnel, bombardés en temps réel, ce qui ajouté à la dope qu’il consomme renforce un côté narcissique des plus destructeurs.
Mais si ce livre fort bien écrit, didactique, intense de bout en bout, séduit, il met aussi mal à l’aise. Non par son contenu, mais parce que les personnages de Dongala apparaissent trop manichéens, qu’au milieu de toute cette horreur, il laisse entrevoir encore un espoir pour Laoké. Espoir basé sur la vertu, le travail, la soif de connaissances, la ténacité féminine. Est-ce l’effet de la Shoah, d’Hollywwod, d’un trop plein d’infos ? Toujours est-il que depuis quelques décennies de nombreux lecteurs ont hélas perdu candeur et innocence, qu’un rendu fictionnel avec une morale très XIXe siècle a aujourd’hui un peu de mal à passer. « On ne va pas vous tuer, monsieur Ibara. Nous allons tuer votre femme si vous ne la baisez pas là, tout de suite dans ce salon, devant nous. Décidez-vous. Ou vous baisez la femme, ou on la tue. »
Johnny chien méchant
Emmanuel Dongala
Le Serpent à Plumes
359 pages, 18 €
Domaine français Soleil noir
novembre 2002 | Le Matricule des Anges n°41
| par
Dominique Aussenac
S’appuyant sur une fresque réaliste, le Congolais Emmanuel Dongala dénonce les conflits ethniques qui embrasent l’Afrique. Un roman au nom de l’horreur.
Un livre
Soleil noir
Par
Dominique Aussenac
Le Matricule des Anges n°41
, novembre 2002.