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Intemporels Le monde sur écoute

janvier 2003 | Le Matricule des Anges n°42 | par Didier Garcia

Après dix ans d’investigation sur les radios étrangères et les services de propagande du monde entier, Armand Robin analyse les discours visant à l’intoxication des peuples. Plongée dans la phraséologie de l’aliénation.

La Fausse Parole

De son vrai nom Vincent Robin, Armand Robin (1912-1961) fut un romancier discret, un poète malgré lui (ce qu’il s’est d’ailleurs promptement efforcé de ne plus être) et un infatigable traducteur (Maïakovski, Pasternak, Ungaretti, Omar Khayam -et les deux tomes de Poésie non traduite colligent des textes de 45 auteurs écrivant dans 19 langues différentes, dont le ouighour, le kalmouk, le tchérémisse…). Après une vie plutôt tumultueuse, Armand Robin poussa la discrétion jusqu’à laisser la postérité négliger une œuvre que Blanchot et Perros avaient saluée en son temps (la plupart de ses textes romanesques et poétiques se trouvant aujourd’hui épuisés).
Un voyage en URSS, réalisé deux ans avant celui de Gide (donc en 1933), bouleverse radicalement sa vie : engagé dans un kolkhoze pour la saison des moissons, il découvre les millions de victimes de la dictature et souhaite alors faire du russe sa « langue natale ». Le 1er avril 1941, nouvel événement décisif : il est embauché au ministère de l’Information comme « collaborateur technique de seconde catégorie » chargé des écoutes en langues étrangères (il en connaissait une quarantaine, dont dix-huit qu’il pratiquait régulièrement), activité dont il doit rendre compte dans des bulletins quotidiens, après un contact nocturne « avec de redoutables êtres psychiques -il les nomme les  »psychophages« - assiégeant la planète, obsédant l’humanité, cherchant des peuples entiers d’esprits à subjuguer, à dévorer, à sahariser ». Le 4 novembre 1944, après Paul Morand, il apparaît sur la liste noire du Comité National des Écrivains, inscription aussi étrange qu’injustifiée puisqu’il était résistant… Limogé de son ministère trois semaines plus tard, mais ne pouvant abandonner son poste de radio (« j’ai besoin chaque nuit de devenir tous les hommes et tous les pays »), il poursuit alors son activité d’auditeur, mais désormais à son compte.
Publiée en 1953 aux Éditions de Minuit, La Fausse Parole ne donne à découvrir qu’une partie de son œuvre, celle consacrée aux investigations radiophoniques. Cette réédition s’enrichit de deux textes ayant trait au travail de l’écoute, et de quelques bulletins ronéotypés, tels qu’il les distribuait à ses abonnés (parmi lesquels figurait l’Élysée). La Fausse Parole peut être tenue pour la lecture théorique et critique que Robin formule après dix ans de pratique sur son propre travail, qui visait à obtenir des renseignements inédits et à tenter de prévoir l’événement (par exemple la dénonciation du culte de la personnalité après la mort de Staline en 1953 et la tension des relations sino-soviétiques).
La Fausse Parole entraîne le lecteur dans les turbulences de l’immédiate après-guerre, en pleine guerre froide, dans un monde bipolaire qui ne semble pouvoir exister que par les voix de Staline et de Marshall : lutte contre l’impérialisme soviétique d’un côté, contre le capitalisme américain de l’autre, arbitrée par le spectre d’une troisième guerre mondiale. On y découvre une analyse rhétorique des messages délivrés par la radio (un « appareil à bavardages » qui « n’en dit guère plus lorsqu’il se déchaîne que lorsqu’il se tait »), le plus souvent diffusés par les services de propagande soviétiques (mais pas uniquement), où la véritable parole n’est jamais dite mais s’efface pour la fausse parole qui occupe toute la place, brain-trust quotidien qui consiste à changer le réel ou à le contraindre de prendre une forme qu’il n’a pas (liberté dont jouissent les écrivains en URSS, bonheur de vivre des Républiques baltes, ou formidables récoltes réalisées par certains agriculteurs, avec chiffres à l’appui, pour des années particulièrement désastreuses…) Armand Robin s’y livre à une analyse à la fois méticuleuse et intuitive de la phraséologie stalinienne et des discours visant à l’aliénation mentale (on apprend par exemple que le nom de Joseph Vissarionovitch Staline représentait la moitié des syllabes contenues dans la plupart des phrases qui l’évoquaient), étudie le fonctionnement du langage obsessionnel (c’est-à-dire peu à peu « la suppression du sens des mots », les radios russes affirmant ainsi au peuple que « l’univers anti-stalinien essaye d’être semblable à l’univers dit stalinien, qu’il n’a simplement que peu d’années de retard »).
L’analyse d’Armand Robin ne pratique guère la langue de bois : Staline y fait figure « d’esprit d’un ordre très inférieur (l’homme était plus bas encore !) ». Mais c’est surtout sa rigueur et sa lucidité qui séduisent, comme lorsqu’il note sous Khrouchtchev la réapparition sur les ondes des bulletins météorologiques (qui avaient totalement disparu sous l’ère Staline), indice selon lui de la suppression du rideau de fer, traduisant la volonté du Kremlin de faire l’osmose avec l’Occident de l’Europe.
Elle dresse aussi un constat accablant sur les médias de l’époque. En 1947, il conclut qu’à la radio l’information « n’existe pratiquement plus sur la surface du globe » et « qu’il n’y a plus d’événement ; l’auditeur se trouve devant une universelle absence de véritables nouvelles, devant une mondiale »ananguélie«  » (on se demande ce qu’il penserait aujourd’hui de notre information, à l’heure de la radio par satellite). En 1953, il avoue sa crainte de l’hypnose télévisuelle, qui pourrait servir « à créer une inédite variété d’aveugle » (que l’on songe à la surenchère médiatique sur l’insécurité lors du dernier scrutin présidentiel, et l’on accordera volontiers à Robin une lucidité prophétique !).
Pour une meilleure compréhension de La Fausse Parole, on ne saurait que recommander la lecture préalable d’Expertise de la fausse parole (ne serait-ce que pour la préface éclairante de Dominique Radufe -éditions Ubacs, 1990). Mais quel que soit le mode d’accès, La Fausse Parole est un livre qui dérange, renvoyant chaque lecteur à l’auditeur qu’il est aussi, un auditeur peut-être victime aujourd’hui d’un autre conditionnement pavlovien, en des temps où tout et n’importe quoi peut faire figure d’événement. Un florilège qui s’adresse donc à la crédulité de chacun et qui encourage à davantage d’esprit critique.

La Fausse Parole
Armand Robin
Le Temps qu’il fait
160 pages, 16

Le monde sur écoute Par Didier Garcia
Le Matricule des Anges n°42 , janvier 2003.
LMDA PDF n°42
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