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Arts et lettres Pour l’amour de l’art

mars 2003 | Le Matricule des Anges n°43 | par Thierry Cecille

Collectionneur et critique éclairé, défenseur du Douanier Rousseau, promoteur des œuvres naïves, Wilhelm Uhde se raconte, au cœur de l’Histoire. Un livre goethéen, d’une sagesse sereine et terrestre.

De Bismarck à Picasso

1936 : à Berlin, Hitler est au pouvoir, en Espagne, la guerre civile entasse ses cadavres, à Paris, un homme âgé et solitaire, mais l’esprit aigu et dépourvu de toute amertume, se retourne vers son passé. En 1905 cet homme, Wilhelm Uhde, acquit, pour dix francs, somme ridiculement modeste, une femme à sa toilette, tableau d’un inconnu qui signait P., et, peu après, un paysage du Havre, d’un certain Dufy. Il allait ainsi construire une des collections les plus éclairées de l’époque, admirant et défendant, avant qu’ils ne soient reconnus, Picasso, Braque -pour lui le plus grand peintre du siècle- puis le Douanier Rousseau. Mais cette période n’est qu’une étape, son existence -qu’il se remémore tout entière ici, de Bismarck à Picasso, en fait de 1874 à la veille de la Seconde Guerre mondiale- offrirait la matière de nombreux romans -dont quelques-uns ont d’ailleurs été écrits… par d’autres.
Ainsi son enfance, dans ces villes marchandes des bords de la Baltique ou de la Poznanie, est-elle celle d’un descendant des Buddenbrook : le père allie la rigueur morale kantienne à une tendresse retenue, la mère est issue d’une famille moins austère, comportant esthètes et originaux. Mais le vert Paradis de l’enfance est trop tôt perdu : l’école ne lui offre qu’ennui et angoisse, et en cette Allemagne de Bismarck, l’Esprit s’éteint peu à peu, le nationalisme, Uhde y insiste, ne sera, alors et jusqu’à Hitler inclus, qu’une contrefaçon vulgaire et bruyante de l’âme allemande. On lui interdit de lire Voltaire, la mer seule répond à sa « mélancolie juvénile », à sa « nostalgie indéfinie ». Le voilà à l’université, se passionnant pour les corporations étudiantes : beuveries, affaires d’honneur, duels -nous sommes chez Joseph Roth et Ernst von Salomon. « Licencié en droit du royaume de Prusse », il pourrait n’être qu’un fonctionnaire de province, un de ces somnambules que décrira Broch - mais il s’échappe. Il fuit au Sud : à Florence, c’est la « révélation si brutale de la dimension humaine ». Il décide d’étudier l’histoire de l’art, commence à écrire romans et essais esthétiques : il tentera, toute sa vie, de définir, et peut-être de concilier en lui, « la verticale gréco-allemande de la mélancolie et l’horizontale romane de la satisfaction ». Il pourrait aussi prendre pour devise « jamais dupe » : il sent monter l’antisémitisme en cette Allemagne des confins de l’Est, désirant travailler sur les Archives Nietzsche, il soupçonne la main mise d’Elizabeth Forster-Nietzsche sur la mémoire de son frère.
À nouveau il faut fuir : ce sera Paris, en 1904. « La beauté était omniprésente » -et l’art, et l’intelligence : il est accueilli par Erich Klossowski, fréquente les Stein, rencontre Vollard et Kahnweiler, fait même l’expérience d’un rapide mariage -blanc- avec Sonia Delaunay. Sa collection se bâtit peu à peu, il est guidé par l’instinct et l’admiration -non par le calcul. Devant chaque tableau, il se veut « un amoureux naïf ». Il combattra farouchement pour le Douanier Rousseau, pour Marie Laurencin, pour la vieille et inculte Séraphine, découverte par hasard. Mais la guerre vient, il est en Allemagne et sa collection sera confisquée, puis vendue -il se réjouira pourtant, jusqu’à la fin de sa vie, à la seule lecture du catalogue de cette vente ! Il essaie, dans l’Allemagne de Weimar, de croire à nouveau en l’espoir, en une régénération de son pays, il lutte pour le pacifisme, s’engage auprès de certains mouvements de jeunesse. Mais l’Allemagne, à nouveau, devient invivable -seule la France peut l’accueillir. Il y revient en 1924 avec le peintre Helmut Kolle -son amant ?- et recommence à collectionner ceux qu’il appellera les « nouveaux primitifs ». Pourtant la France, en ces années noires, n’est guère hospitalière : il n’obtiendra pas la nationalité française et demeurera apatride. Victime prévisible des nazis, il parviendra pourtant à leur échapper (Jean Cassou le cachera quelques mois) et mourra à Paris en 1947.
Au travers de ces expériences diverses, tout au long de ces rencontres et découvertes, Uhde demeure fidèle à une vision constamment enrichie et renouvelée de l’art moderne : il y voit la conquête toujours recommencée d’une « réalité idéale supérieure », pour l’« homme qui traîne toujours beaucoup de mort avec soi, ce qui lui complique la vie ». Et à tout cela s’ajoute la voix d’Uhde, qui nous le rend proche : un humour discret qui teinte continûment ce récit -lorsqu’il avoue, par exemple, son « penchant pour les boissons alcoolisées » et les burlesques aventures que provoque cette passion -une pudeur qui semble une sorte de politesse supérieure, l’art de la touche, la diversité des rythmes, de l’allegro enthousiaste au lento de celui qui voit la mort venir -c’est ici un livre goethéen, d’une sagesse sereine -et terrestre.

De Bismarck à Picasso
Wilhelm Uhde
Traduit de l’allemand
par Barbara Fontaine
Éditions du Linteau
(52, rue de Douai, 75009 Paris)
296 pages, 29

Pour l’amour de l’art Par Thierry Cecille
Le Matricule des Anges n°43 , mars 2003.
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