Les îles constituent de formidables huis clos cristallisant angoisses métaphysiques et espérances ferventes. Sur l’île d’Eilean Mor, le 26 décembre 1900, les membres d’équipage du bateau à vapeur Hesperus, chargés de relayer les trois gardiens de phare ne trouvent âme qui vive, ces derniers ayant bel et bien disparu. Sur le cahier de bord, quelques mots évoquent une tempête effroyable, puis plus rien. Or, aucune perturbation ne fut enregistrée ces jours-là dans les parages. Ces faits avérés constituent la somptueuse entrée en matière de ce premier roman, publié en 1983. Ensuite Vagn Predbjorn Jensen (né en 1936, auteur d’une dizaine d’ouvrages et d’un recueil de nouvelles) stratifiera des histoires dont les couches finiront par s’interpénétrer, des éléments mystérieux, récurrents, effroyables se glissant à travers les temps. Il évoquera ainsi le premier habitant de l’île, l’abbé celte Flannan, exilé là pour avoir refusé d’imposer sa foi par la force. Un de ceux qui l’ont trahi lui raconte ce rêve « Trois hommes grimpent sur une montagne. La mer monte. Ils avancent péniblement, essayant d’aller plus vite que les vagues. La mer en rattrape un et l’entraîne avec elle. Quel sera le sort des deux autres ? Et moi, suis-je l’un des trois ? » Mille ans plus tard, les trois nouveaux occupants seront les gardiens de phare.
Anciens marins, tous marqués par le destin, ils ont au cours de leurs périples croisés un bateau à la dérive, aux voiles flageolantes ; un bateau fantôme. Donald McArthur, rebelle, a étranglé sa maîtresse, voilà une décennie et depuis fuit. James Ducat a pris la mer n’ayant jamais su choisir entre l’amour de deux femmes. Thomas Marshall, marin lettré est hanté par le sentiment que « quand il cherchait à rompre sa solitude, il provoquait la mort d’autrui ». Il est magnétiquement attiré par l’Atlantide. Jensen décrit admirablement les rapports de force qui dans ce huis clos vont s’établir entre les trois hommes. Rapports houleux dont le dérèglement ira crescendo (dialogues acerbes, violences) et préfigurera ou enfantera le futur cataclysme. Les gardiens vont être entraînés dans une sorte de malstrom, d’œil du cyclone où hiérarchie et conduites raisonnées vont s’estomper, laissant place à des comportements aberrants, archaïques. Les forces naturelles se déchaînant, les hommes seront brisés, leur athéisme, leur libre arbitre vaincus. Ils n’auront à choisir qu’entre la miséricorde d’un dieu tout-puissant et les superstitions et le paganisme. Les peurs diffuses, innommables, vibrionnnantes se développeront monstrueuses et ne tarderont pas à n’en masquer qu’une seule, la plus totalitaire de toutes, celle de l’inconnu, de la mort, du passage. Le destin de ces trois hommes a-t-il été programmé ? Et ce depuis quand ? Sont-ils les pions d’un jeu que se livrent des forces surnaturelles ? La peur, l’isolement peuvent-elle engendrer une telle folie ? Jensen laisse ces questions en suspens. La pesanteur et la noirceur du puritanisme scandinave font certes partie de sa culture de base. Mais il réussit à travers les Ténèbres à laisser au rêve, une potentialité, une force empreintes de chaleur très humaine.
Le Phare de l’atlantide
Vagn Predbjørn Jensen
Traduit du danois
par Bénédicte Brunn
Métailié
156 pages, 15 €
Domaine étranger Tectonique de l’effroi
mars 2003 | Le Matricule des Anges n°43
| par
Dominique Aussenac
Sur les traces de Poe, le Danois Vagn Predbjørn Jensen exhume des peurs ancestrales, le mythe de l’Atlantide et la toute-puissance divine. Inquiétant mais chaleureux.
Un livre
Tectonique de l’effroi
Par
Dominique Aussenac
Le Matricule des Anges n°43
, mars 2003.