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Domaine français Un mur nommé désir

mai 2003 | Le Matricule des Anges n°44 | par Richard Blin

En deux livres, Thierry Laget rend hommage à la littérature, matrice de tous les éveils. De l’amour des mots et de l’écriture, à la grande liturgie du monde, du savoir et de l’émotion.

Supplément aux mensonges d’Hilda

À des dieux inconnus

Parmi les Petits problèmes et travaux pratiques chers à son Professeur Froeppel, Jean Tardieu cite celui-ci : « Étant donné un mur, que se passe-t-il derrière ? » Voilà qui aurait pu servir d’exergue aux très belles pages que consacre Thierry Laget au livre, à la lecture et à l’écriture. Véritable éloge de la littérature, À des dieux inconnus a en effet pour fil rouge l’image du mur. Son opacité, sa présence entêtante, sa « texture » même en font un tremplin assez idéal pour la rêverie. Qu’il s’agisse du vieux mur « provincial et bossu, qui claudique en disant non à la rue, le mur qu’ont grêlé la mitraille et les éclats d’obus, le mur hostile, couronné de tessons de bouteille, le mur qu’il faudrait escalader pour s’échapper », ou de celui dont la mémoire de l’auteur a gardé un souvenir extrêmement précis -« pauvre mur décrépi, bruni, confit par les neiges, les soleils, les fumées »- mais dont il n’a jamais pu retrouver trace. Qu’il s’agisse de ceux qui ceinturaient l’hôpital psychiatrique où exerçait sa mère, ou de celui qui, coupant en deux la cour de l’école communale, empêchait les garçons de se mêler aux filles. Qu’il s’agisse du mur du tombeau de Virgile ou de celui dont Flaubert fit l’emblème de la prose (« La prose doit se tenir droite d’un bout à l’autre, comme un mur portant son ornementation jusque dans ses fondements et que, dans la perspective, ça fasse une grande ligne unie »), le mur, symbolisant à merveille « le monde des possibles et des impossibles -possibles interdits, impossibles réalisés », est peut-être ce qui matérialise au mieux le désir d’écrire. « Nous nous heurtons à la page du livre de la même façon que mon souvenir se heurte au mur de Clermont ; au-delà commence une autre vie que nous ne savons pas nommer, dieu, folie, amour, art, mais par laquelle il nous faudra passer si nous voulons avoir vécu ».
Dans cet ouvrage qui tient tout à la fois de l’offrande et de l’hommage, Thierry Laget retrace ce que fut son parcours initiatique, celui d’un « fou qui croyait que le monde décrit dans les livres était vrai, et qu’il était l’un de ses héros ». Il dit sa dette au chef-d’œuvre de Selma Lagerlöf, Le Merveilleux Voyage de Nils Holgersson à travers la Suède, livre-sésame qui lui révéla toute la magie de la lecture, en le convertissant au plaisir d’être à la fois acteur et spectateur, « à la fois dans le texte et hors du livre, dans l’image et derrière l’œil qui la contemple, dans la matière et dans sa spiritualisation ». Évoquant, au fil des pages, tout ce qu’il doit à Apollinaire (« La foi venait alors d’être, pour moi, remplacée par la poésie ; celle d’Apollinaire avait la concision et la densité des prières, on pouvait la dire en chapelets, sans y songer, comme »Notre Père« , en être pareillement lavé -une purification fulgurante et mélancolique »), à Don Quichotte, le chevalier errant devenu fou d’avoir lu tous les livres, à Baudelaire ou au Roland furieux de l’Arioste (« Cet homme, qui compose un si long récit, a l’art de tout peindre d’un mot, comme si son poème devait tenir brodé sur un pétale de fleur, être lu sous la loupe d’une goutte de rosée »), c’est l’essence amoureuse de toute relation sincère aux mots et aux livres, dont il témoigne magnifiquement.
Pratique sensuelle du monde, la littérature, qui relève autant du secret que de l’intime, du désir que de ses contraintes, de la folie que de l’amour, s’avère vite plus vraie que la réalité. Conjuguant le verbe à la beauté, la peur à la magie, la chair à l’inconnaissable, elle transporte, transforme, transcende. Grâce à elle, on se rend très vite compte que rien n’est absolument ce qu’il semble être, que le réel ne se limite pas à ce que nous avons l’habitude de percevoir, que le fictif, qu’on assimile trop spontanément au faux, n’est peut-être que la forme que prend ce qui ne peut pas se dire autrement.
Mais, pour être la matrice de tous les éveils, de tous les plaisirs, de toutes les métamorphoses, la littérature est d’abord ce qui s’écrit. D’où ce Supplément aux mensonges d’Hilda qui, venant, entre autres, après Iris (Gallimard, 1991) et Roman écrit à la main (idem, 1999), illustre le plaisir que ne cesse de prendre Thierry Laget à lire et à écrire des romans.
Sur fond de peinture des années Mitterrand, et s’inscrivant au cœur d’échos qui semblent venus de l’Histoire du chevalier des Grieux et de Manon Lescaut, des Liaisons dangereuses ou encore de Roméo et Juliette, voici un roman plein d’inventivité et de drôlerie, multipliant les points de vue, jouant, et se jouant, des alliances toujours troubles entre réel et fictif. Du choc des altérités et des inévitables courts-circuits entre rêve et réalité, il fait la matière première de quarante chapitres endiablés.
Utilisant toute la plasticité du genre romanesque, usant avec ironie d’un sens subtil du recyclage, mélangeant les styles et se moquant de toutes les orthodoxies, Thierry Laget s’en donne à cœur joie. Tout le roman gravite autour du personnage d’Hilda, débarquant à Paris, depuis sa lointaine république « bananière », pour des raisons qui ne cessent de varier au fil des épisodes. Est-ce par amour pour notre démocratie et passion pour François Mitterrand ? Pour fuir un mari jaloux et chef redouté de la police ? Parce qu’elle lui préfère un boxeur dont les héroïques défaites ont fait la gloire ? Qu’importe, finalement ! Reflets de l’infinité des existences possibles, les mensonges d’Hilda, dans un monde livré au pur miroitement des signes, n’ont sans doute d’autre but que de nous rappeler, sur un mode jubilatoire, quelques évidences par trop occultées aujourd’hui. Comme de se souvenir que la vérité est bien trop souvent mortelle pour être prise trop au sérieux ; qu’on ne saurait vivre sans la ruse du masque ; qu’on ne raconte sans doute pas des histoires pour être cru, mais pour goûter un peu à ce monde « où les actions humaines ne sont pas jugées en fonction de leur utilité ou de leur fermeté, mais, comme elles devraient toujours l’être, pesées au trébuchet de la grâce, de la fragilité ».

Thierry Laget
À des dieux inconnus
Gallimard
153 pages, 15
Supplément aux mensonges d’Hilda
Gallimard
230 pages, 17

Un mur nommé désir Par Richard Blin
Le Matricule des Anges n°44 , mai 2003.
LMDA PDF n°44
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