Comme le titre et le sous-titre ne l’indiquent pas (De Marivaux et du Loft : petites leçons de littérature au lycée), il ne s’agit pas d’un essai paradoxal ou d’une prise de position concernant les réformes et les programmes de l’Éducation nationale. Catherine Henri se borne à relater quelques cours, en un « documentaire très subjectif, dont le montage n’altèrerait pas trop l’impression de vérité ». « C’est comme cela que je me débrouille avec mes élèves », voilà « juste » : on a quand même un peu envie de chipoter ce « juste », et l’ambiguïté un peu inconfortable de l’entreprise. L’enseignante avance sur la pointe des pieds, limite ses ambitions (« Je suis professeur, pas écrivain »). Le problème est alors de savoir si ces leçons peuvent faire littérature : disons que c’est léger, que ça se délite parfois, qu’on fera le tri parmi ces courts chapitres. Sans agacement, toutefois. La salle de classe est aimable : elle semble peuplée d’individus bien plus que d’élèves, et les expériences y sont davantage humaines que pédagogiques. C. Henri promène un regard respectueux et attentif sur son auditoire, c’est beaucoup ; et si un jour elle s’énerve, c’est que des stagiaires lui lancent : « C’était quoi la fonction civique, dans votre cours ? » Langage brutal, grille stupide qu’on imagine à mille lieues d’une prof qui ménage le sommeil de ses ouailles : « Maintenant, (…) entre les rangées de table, je ne les réveille plus. Aucun. Faudrait-il faire le tri entre les bonnes et les mauvaises raisons de dormir ? Réveiller la droguée de télé et laisser dormir le soutien de famille ? » De telles hésitations ne sont pas si fréquentes ; elles ne préoccupent pas, en tout cas, une institution qui décrète le « dialogue obligatoire » et le cours magistral hors la loi : « C’était pourtant le refuge des élèves discrets, la permission de rêver, des plages d’ennui, d’attention flottante ou de fascination ». Une jolie ligne de fuite s’inscrit, comme s’il s’agissait, pour celle qui confesse ses insomnies, d’éteindre doucement la lumière de la classe.
De Marivaux et du Loft
Catherine Henri
P.O.L - 148 pages, 14 €
Domaine français Dormir peut-être
mai 2003 | Le Matricule des Anges n°44
| par
Gilles Magniont
Un livre
Dormir peut-être
Par
Gilles Magniont
Le Matricule des Anges n°44
, mai 2003.