Un livre

Le Voyage

de Sergio Pitol

Editions Allusifs

C’était une manière d’injustice. Avec une déconcertante partialité, les centaines de pages du journal intime de Sergio Pitol, diplomate mexicain en poste à Prague de mai 1983 à septembre 1988, s’étaient refusées à accueillir le témoignage de son séjour dans la cité de Franz Kafka. Après avoir parcouru ses cahiers, dans l’espoir de rédiger une « chronique littéraire dans un mode mineur », le mémorialiste dut se résoudre à cette mystérieuse évidence : l’écriture était demeurée insensible à ses enthousiasmes praguois. « C’était quelque chose que je n’arrivais pas -que je n’arrive toujours pas- à comprendre ». La littérature avait su, en revanche, retenir le souvenir d’un bref et cocasse voyage dans l’Union soviétique de la perestroïka et de Gorbatchev, en mai 1986. Récit d’une exploration des territoires de la géopolitique et de la littérature slave, où la confidence le dispute à l’éloquence, Le Voyage se résigne à adopter, non sans espièglerie, l’itinéraire imposé par le journal. Délaissant Prague, c’est donc à Moscou et à Tbilissi, la capitale de la Géorgie, que nous invite ce récit improvisé, au ton inattendu. Ignorant la géographie et la chronologie, privilégiant les atmosphères et les portraits, cet essai évoque les « premiers pas d’un dinosaure congelé depuis très longtemps ». Une démarche hésitante appréciée avec humour par Sergio Pitol, lézard iconoclaste.
Sous la tutelle conjuguée d’une érudition inspirée et d’une observation finaude, Sergio Pitol mêle dans son ouvrage les hommages aux écrivains essentiels (Gogol, Tchékhov, Pouchkine, Tourgueniev, Chklovski, Tsvétaïéva…) et les considérations incrédules et amusées sur l’actualité politique et sociale de la glasnost. La chronique d’un dégel désarmant.

Le Voyage
Sergio Pitol
Traduit du mexicain par Marie Flouriot
Les Allusifs - 172 pages, 16 €