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Domaine français Amères retrouvailles

octobre 2003 | Le Matricule des Anges n°47 | par Pascal Paillardet

De la fournaise des années soixante-huitardes aux braises mal éteintes, Le Dantec décrit les étourdissements d’une génération utopique.

Trente ans après, comme des fanaux vacillants, les pétales d’une fleur de coquelicot scintillent dans les brumes de sa mémoire. Typographe, survivant d’un printemps incendiaire qui brisa quelques illusions, Jean s’est réfugié à Trévarez, en Bretagne. Ancien imprimeur parisien, il se croit hors d’atteinte des rappels d’une « époque poussiéreuse ». S’il s’acharne à réparer l’avarie des souvenirs, encalminé dans la solitude, la nouvelle de la mort d’un compagnon d’autrefois rompt soudain la digue : figure de proue d’un vaisseau de brigands utopiques, le peintre David Grimbert avait guidé sa traversée des années 1960 et orienté, à coups de palabres démonstratives, ses colères de « prolo banlieusard » mûries dans le giron d’un militantisme familial un « vieux stal de père » militant dans une cellule du PCF, une mère responsable de quartier de l’Union des femmes françaises. « Mentor de jeunesse », David régnait sur un conciliabule d’indociles adolescents : la « bande des Davidsbündler », un groupe d’insurgés ainsi nommé en référence à une œuvre de Schuman, « Davidsbündler Tänze » (« Les Danses des compagnons de David »).
S’emportant contre les philistins, cinéphiles et phraseurs, ces canuts du Quartier Latin et de Saint-Germain-des-Prés étaient étudiants en architecture. Line, qui rêvait de « s’établir en usine pour y souffler les braises de la révolte », était l’égérie de cette avant-garde de jeunes gens aux velléités d’artistes et de révolutionnaires. À l’arrière-saison, quand les coquelicots fanés se détachèrent des cols Mao comme des rosettes abîmées, les émeutiers se dispersèrent dans les rues dépavées. « Espoirs défaits, Gauche prolétarienne dissoute, amours en ruine et pas même un métier ». Certains anciens camarades de la mouvance soixante-huitarde promenèrent des lassitudes de défroqués et des chagrins de vaincus de l’Histoire. D’autres chancelèrent, étourdis et désœuvrés, au bord de la folie. Gauchistes, puis dégauchis par la vie, irrémédiablement. À l’ivresse politique et à la volupté sentimentale, racontées par Jean-Pierre Le Dantec dans son roman Étourdissements, succédèrent les frissons et la nausée.
Historien de l’architecture, de la ville, de l’art des jardins et des paysages, Jean-Pierre Le Dantec, né le 14 mars à Plufur (Côtes-d’Armor), fut l’un de ces « compagnons de joies et d’infortunes ». Parcouru par un feu qui refuse de s’éteindre, son livre restitue les lueurs crépusculaires du Grand Soir. On pourrait lire ce roman aux attaches autobiographiques comme le testament d’un rêve déchu, comme un legs désespéré. « On se serait gourés sur lui (David, ndlr) aussi connement qu’on a pris Mao pour un poète libertaire », suggère ainsi l’un des ex-révoltés. En réalité, Le Dantec réclame une dette arriérée. Un arriéré d’espoir malgré les chimères effondrées, malgré ces trente années d’amertume des cœurs et de reddition des corps : « Trente ans, ça déplume, ça voûte les dos, ça plisse les ventres, ça ramollit les chairs ». Incisif, sans indulgence, Étourdissements est un livre de retrouvailles, dont l’écriture nerveuse est à l’unisson des convulsions de cette époque. Publié un an après Tigre en papier d’Olivier Rolin, ce beau et émouvant récit, le quatrième roman de l’auteur, aurait pu emprunter ses harmonies à un requiem. Refusant d’accompagner l’enterrement des secondes classes de l’armée révolutionnaire, il résonne pourtant comme une bacchanale improvisée sur la tombe. Et la dalle doucement se lézarde. On préférera toujours la générosité fertile de ces anciens artificiers que le cynisme « frappadingues dopés aux amphés technologico-théologiques qui nous mènent aujourd’hui dans le mur ». Sous la dalle, la plage.

Étourdissements
Jean-Pierre Le Dantec
Seuil, 249 pages, 18,50

Amères retrouvailles Par Pascal Paillardet
Le Matricule des Anges n°47 , octobre 2003.
LMDA PDF n°47
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