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Domaine étranger L’éternel retour

octobre 2003 | Le Matricule des Anges n°47 | par Emmanuel Favre

Grotesque, absurde, outrancier, le livre de Robert Menasse dresse un portrait sans concessions d’une Autriche bon teint et nostalgique.

La mère du héros de Machine arrière, citadine d’âge mûr, est persuadée qu’un retour aux sources, à la terre, peut lui apporter de nouvelles sensations, « une vie saine et sensée, en harmonie avec le cycle naturel de la nature ». En dépit des préjugés elle vient de se remarier avec un homme de quinze ans son cadet, « ce qui revient à dire qu’il a seulement cinq années de plus que toi, mon chéri », Frau Bauer (Madame Paysan) quitte son emploi, vend son appartement viennois et fait l’acquisition d’une ferme pour se lancer dans l’agriculture biologique. Depuis des années, son fils Roman vit à Sao Paulo, loin de cette matrice et de ce pays qui le désespèrent. Pour lui, cela ne fait pas l’ombre d’un doute : sa mère est folle à lier, bonne à enfermer. Sinon comment expliquer ce geste insensé de s’installer à Komprechts, dans cette « province profonde, paumée dans un pays lui-même déjà si profondément provincial ». Roman ne peut se faire à l’idée que sa mère lui fasse parvenir des pulls tricotés main en plein été brésilien. Il décide de faire Machine arrière, de regoûter au kitsch alpin.
À Komprechts, l’ambiance est morose en ce début d’année 1989. L’avenir ne s’annonce en effet guère reluisant. Après la carrière, un autre fleuron économique, la verrerie, s’apprête à mettre la clef sous la porte. Le maire, König (le roi), pense pouvoir résoudre le problème en transformant la région en un vaste parc d’attractions et en faisant de Komprechts un haut lieu du tourisme vert. Tout est mis en œuvre pour faire converger les touristes vers le village et ses environs, leur renvoyer cette image du bon vieux temps « où l’on parlait encore de villégiature, où les sculpteurs travaillaient la pierre, et pas les plasticiens le plastique ». On déboise, on reboise, on réaménage. La nature est ainsi plus propre, plus nette, plus ordonnée. Car « ce que veulent les gens aujourd’hui, c’est la nature, mais pas sauvage ». Komprecht doit avant tout miser sur sa tranquillité, son caractère paisible. König, qui court après un nouveau mandat, est forcé de se rendre à l’évidence : il faut habiller ce qui est nouveau avec les couleurs du passé, moderniser dans le respect des traditions. « Un grand crème, s’il vous plaît, mais un nouveau, à l’ancienne. »
Mais Komprechts vit sur un champ de ruines. La carrière n’est plus qu’un sol fissuré, chaotique. Tout le monde refuse d’admettre qu’elle a appartenu à un juif avant que les nazis ne mettent le grappin dessus en 1938. Et puis, il y a cette drôle de légende qui circule : tous les huit ans, le Braunsee (le lac) réclame une victime. Et cela fait déjà sept ans que le fils de Sawelko s’est noyé…
Depuis toujours, l’Autriche et ses écrivains entretiennent un rapport schizophrénique. Une sorte d’amour-haine, entre dégoût, rejet absolu et attirance mutuelle. N’oublions pas le testament de Thomas Bernhard depuis cassé par ses héritiers qui interdisait toute représentation, lecture ou publication de ses œuvres en Autriche pour la durée légale de la propriété intellectuelle (71 ans) et stipulait qu’il ne voulait rien avoir à faire avec l’État autrichien. Robert Menasse s’inscrit dans la lignée de Bernhard, de ces écrivains « critiques du réel ». Moins radical que Bernhard ou qu’Elfriede Jelinek parce que sans doute moins « esthétisant », Menasse se joue des codes et des tics de langage, détourne les clichés chapeaux tyroliens et balcons fleuris en tête, dénonce le culte de la nature. Komprechts semble tout droit issu de la Cacanie de Musil, comme d’ailleurs le suggère ironiquement la plaquette publicitaire destinée à le faire découvrir dans les foires commerciales. Le village opère comme un effet de loupe sur cette Autriche proprette et conservatrice, qui se pose en éternelle victime du nazisme. Personne n’est épargné. Tout le monde en prend pour son grade : le maire et ses élans d’autorité, l’écrivain-instituteur et ses publications aux titres évocateurs, Le Chant de la pierre, Les Pièces d’or de Komprechts, les néo-paysans et leur soi-disant engrais biologique empli de préservatifs et de serviettes hygiéniques, Roman, incapable de se défaire du poids d’une mère possessive et qui rêve qu’il enfonce la tête dans des orifices doux et chauds…
À la tête de ce théâtre de marionnettes, Robert Menasse déploie un humour féroce et démêle les fils d’une narration savamment orchestrée le récit est régulièrement entrecoupé par le visionnage de bandes vidéos appartenant à Roman. Oscillant sans cesse entre le tragique et le grotesque, Machine arrière montre la difficulté que chacun éprouve à se libérer de ses fantômes. Surtout, il interroge la mémoire collective d’un pays. Les manuels scolaires ne peuvent s’empêcher de parler d’un « drôle de malentendu ! » en évoquant le nazisme. Les habitants se font « spécialistes du feu tricolore : rouge, vert, brun », comme tendent à le démontrer les relents de xénophobie qui se développent à Komprechts lorsque des travailleurs étrangers sont embauchés à la verrerie. De là à penser qu’il y a quelque chose de pourri au royaume de la Carinthie et de la Basse-Autriche.

Machine arrière
Robert Menasse
Traduit de l’allemand (Autriche) par Christine Lecerf
Verdier
208 pages, 15

L’éternel retour Par Emmanuel Favre
Le Matricule des Anges n°47 , octobre 2003.
LMDA PDF n°47
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