La lettre de diffusion

Votre panier

Le panier est vide.

Nous contacter

Le Matricule des Anges
ZA Loup à Loup 83570 Cotignac
tel ‭04 94 80 99 64‬
lmda@lmda.net

Connectez-vous avec les anges

Vous n'êtes actuellement pas identifié. Pour pouvoir commander un numéro, un abonnement ou bien profiter, en tant qu'abonné, des archives en ligne, vous devez vous connecter avec votre compte.

Retrouver un compte

Vous avez un compte mais vous ne souvenez plus du mot de passe ? Vous êtes abonné-e mais vous vous connectez pour la première fois ? Vous avez déjà créé un compte, peut-être, vous ne savez plus trop ?

Créer un nouveau compte

Vous inscrire sur ce site Identifiants personnels

Indiquez ici votre nom et votre adresse email. Votre identifiant personnel vous parviendra rapidement, par courrier électronique.

Informations personnelles

Pas encore de compte?
Soyez un ange, abonnez-vous!

Vous ne savez pas comment vous connecter?

Des plans sur la moquette Sylvie Combe, ou l’art de laisser en plan

février 2004 | Le Matricule des Anges n°50 | par Jacques Serena

Celles que je fréquente ont des présences dans l’esprit de ce que j’écris. Ou c’est l’inverse, comment savoir. Au premier coup d’œil, des saintes et des idiotes, aux voix enfantines et puis qu’on voit soudain en fin de nuit agiter leur slip du haut des marches, par idiotie, ou sainteté. Mais comme j’écris ce que j’ai cru vivre, que je me retrouve à vivre ce que j’ai cru écrire.
Il y a ces nuits que je me fais, à les entraîner dans mes déambulations. Il y a ces mots que je leur vole, ces monologues de mémoire, et même carrément des carnets, des photos. Elles tiennent jusqu’à très tard, et après-coup c’est flou, peuplé de bribes incompréhensibles, avec rien ne venant meubler les vides, avec là ou là juste ce qu’on n’espérait plus de petits cris. On se doit, disait l’autre. Je suis là pour ça, qu’elles veulent aussi, au matin. On voudrait s’y donner, elles s’y prêtent.
Ça laissera à désirer, me permettra de me remettre, une autre nuit, après vingt-trois heures, à en espérer une, son corps fiévreux à portée de main en certain lieu, l’importance des lieux. Chaque corps a son lieu particulier, adéquat, à moins que ce soit l’inverse. Sachant que nos corps quand ils s’y retrouveront seront loin d’être à la hauteur de leur absence mais que ce manque ce sera presque mieux, à hurler.

Mais elle, Sylvie Combe, on aurait dit que son problème c’était le temps. La manière dont parfois il s’accélérait, ou s’esquivait. Ou, au contraire, se dilatait, s’effritait, et provoquait un effet de surimpression. C’était elle dans ce temps, ces différents temps. Elle, c’était, avant tout, ça, à lire son cahier. Je la sentais dans l’urgence, et la page d’après neutralisée, enlisée. D’un côté elle ne comptait pas s’éterniser, l’histoire n’avait déjà que trop traîné en longueur, d’un autre côté elle appartenait à la nuit des temps, comme elle disait, ou comme j’aurais aimé qu’elle dise, avec elle je ne faisais plus trop la différence. Pour une de ses pages, elle pouvait prendre deux ans, un été, une nuit entière. C’était surtout la nuit qu’elle écrivait. Pour tenter de maîtriser les événements d’autres nuits. Celle qui écrivait la nuit maîtrisait tout. Celle qui sortait la nuit, rien.

Elle avait écrit : rien de plus détonant que d’arriver à un endroit donné à une heure donnée avec des gens donnés alors que soi on n’a rien à donner qu’on sait déjà à l’avance qu’ils ne nous écouteront pas mais quand même essayer parce qu’à force de savoir on devance peut-être un peu de provocation ou non tout au plus une forte envie de ne pas jouer comme les autres surtout si ce sont eux qui ont instauré la règle pas non plus envie de tricher non juste le jeu pour le jeu l’ultime petit pied de nez à tout ce qu’on nous apprend se protéger pour mieux aborder ou aborder pour mieux se protéger en fait c’est défricher un terrain embroussaillé qui ne servira jamais à rien ni à personne simplement se jeter pour jouer avec eux pour la volupté de passer encore pour l’idiote aux yeux des crétins.

Tourner en rond, tourner pas rond, m’avait dit un matin Sylvie Combe, pour résumer ce cahier d’elle qu’elle savait que j’avais gardé. Et vrai que le chemin où ses mots entraînaient avait quelque chose de cyclique, et de vain. On la suivait, la collait de près, jusqu’à se rendre compte à un moment qu’elle ne savait pas où elle allait. Quelque chose de dantesque, sauf que Dante, s’il nous faisait traverser l’enfer, le purgatoire et le reste, c’était pour après nous laisser en pleine lumière, éblouis, heureux. Sylvie Combe, elle, nous perdait et nous laissait là, en plan.

Elle avait écrit : rien n’a encore été dit rien n’a été révisé ni jaugé dans le cabinet de ce jeune médecin généraliste ça ne s’invente pas comme moi mon cas en fait généralité du bilan d’une qui a beaucoup vécu le no futur qui s’est trop prolongé pour elle alors elle s’y est peu à peu retrouvée seule isolée par chance on dirait ou coup de poker et qui voudrait maintenant se réveiller et se dit qu’elle voudrait encore vivre encore un petit peu.

En relisant le cahier que je n’ai jamais rendu à Sylvie Combe, m’arrive souvent de penser à Sylvia Plath, et même en regardant parfois la photo ratée d’elle que j’ai, la dissemblance entre l’une et l’autre ne me semble être qu’une simple question d’époque, avec aussi cette différence, assez minime pour les filles de ce genre, que Sylvie Combe est encore de ce monde. Un de ces matins, si l’envie m’en prend, je peux passer la réveiller.

Sylvie Combe, ou l’art de laisser en plan Par Jacques Serena
Le Matricule des Anges n°50 , février 2004.
LMDA papier n°50
6,50 
LMDA PDF n°50
4,00