Le Passant ordinaire N°47
Les revues naissent toujours d’un désir de partage. On porte en soi une passion, une révolte - le plus souvent les deux - qu’on voudrait à toute force essaimer. Le Passant ordinaire a d’abord vu le jour dans la tête d’un tout jeune bibliothécaire des quartiers nord de Bordeaux : Thomas Lacoste a 22 ans lorsque, en 1994, il lance ce projet de revue alternative. Il s’agissait de faire bouger « un paysage politique triste à pleurer », dont les effets se faisaient fortement sentir dans le quotidien : chômage, mômes paumés, manque de services publics… « On était une génération qui avait connu le tunnel des années 80, mais qui avait aussi rencontré la pensée de Castoriadis, de l’Ecole de Francfort, de Michel de Certeau… » Des penseurs dont la démarche, fondée sur le décloisonnement des savoirs allaient naturellement inspirer Thomas Lacoste et ses amis. L’esprit de la revue est déjà en place : elle sera un lieu résolument ouvert, où des artistes rencontreront des philosophes, où des photographes dialogueront avec des sociologues, des écrivains… Au Passant, on tient à la notion d’« écriture photographique ». Parallèlement, la fiction prend elle aussi une part grandissante.
L’emblème du Passant, une silhouette longiligne, inspirée de L’homme qui marche, de Giacometti, évoque l’idée du mouvement, chère à ses concepteurs : « C’est une vraie évolution de la revue par rapport au début, où on était davantage dans l’écriture »coup de gueule« , dans le pamphlet, affirment Thomas Lacoste et Christian Malaurie, l’un des collaborateurs. Aujourd’hui on se situe dans le mouvement, beaucoup plus que dans la résistance. Même si l’engagement est toujours aussi important. » Un engagement, proche de la sensibilité altermondialiste, qui se traduit par une attention permanente aux mutations sociales en cours, aux courants de pensée, aux mouvements sociaux qui s’opposent à l’hégémonie de l’ultralibéralisme. L’ouverture à toutes les sciences humaines et aux différents arts graphiques s’accompagne d’une internationalisation de la revue. Les textes arrivent d’Italie, du Canada, du Mexique, des États-Unis, et plusieurs traducteurs rendent accessibles les nombreuses pages disponibles sur le site de la revue. Installé à Bègles, près de Bordeaux, Le Passant emploie trois permanents et dispose d’un important réseau de rédacteurs. Fort de ses 2000 abonnés et d’une bonne diffusion en librairie, ce bimestriel dont un numéro anniversaire va fêter les dix ans est aujourd’hui dans une phase de développement : depuis 1997 des livres paraissent aux éditions du Passant et le catalogue va prochainement s’étoffer. Parmi les très nombreuses signatures qu’accueille la revue, on citera Patrick Baudry, Naomi Klein, Jean-Marie Harribey, Loïc Wacquant, Miguel Benasayag, ou encore Jean-Marc Rouillan, et même le sous-commandant Marcos…
Le Passant ordinaire est, on s’en doute, une revue d’une grande densité et sa lecture est plutôt exigeante. Chaque numéro est thématique. Banlieue du monde, L’homme normal, Combien de mondes ? sont les titres des trois derniers numéros. Plusieurs entrées sont proposées : des pages débats, le dossier thématique, des critiques, des fictions. On retrouve cette traversée des frontières géographiques, intellectuelles, artistiques, avec toujours le désir d’appréhender « le quotidien, quelque chose qui n’est ni le banal, ni le spectaculaire, mais qui est ouvert à l’ordinaire, c’est-à-dire à l’aventure. » Un labyrinthe de l’esprit où le lecteur a tout à gagner à venir se perdre.
Le Passant ordinaire 62, rue Calixte-Camelle 33130 Bègles rens. 05.57.35.19.24. ou www.passant-ordinaire.com