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Avec la langue Il n’y a point d’égalité

avril 2004 | Le Matricule des Anges n°52 | par Gilles Magniont

On s’en doutait, on le confirme : les pouilleux ont un langage bien à eux.

Dans un récent ouvrage1, Jean-Louis Fournier s’attache à distinguer l’idiome des « riches » de celui des « pauvres ». Mais l’auteur étourdi confond le plus souvent les mots et les choses (« Chambre d’amis, en pauvre, se dit canapé convertible »), et les rares fois où il sait s’en tenir au seul lexique, c’est pour dégager des oppositions caricaturales (« Au plaisir « vs » À la revoyure »…) On doit généralement se méfier de cette perception de la langue selon divers « niveaux » familier, standard, soutenu… Découpés à la hache, ils simplifient assez la réalité pour ne gêner personne, et confèrent toujours à la domination sociale le faciès des vilains grands bourgeois. Or l’essentiel se joue sans doute ailleurs, et plus finement.
Dans son édition du 26 février, Libération se penche en dernière page sur le dénommé Franck Moulet qui, après une plaisanterie mal comprise lors du vol Saint-Domingue/New York, a été inculpé pour fausse alerte à la bombe puis incarcéré vingt et un jours dans une prison américaine. Pourquoi lui consacrer un portrait ? Le connaître justifierait-il de considérer d’un autre œil ses infortunes ? Charlotte Rotman, en charge du portrait, ne répond pas à ces questions ; mais elle suggère bien des choses. Elle annonce, dans le chapeau, que ce jeune homme est « hypersensible » ; puis elle fait part d’une certaine déception : « Franck Moulet fait attention à ce qu’il dit, répond très poliment. Sans rire. Pas truculent pour deux sous. Les mots ne jaillissent pas, l’accent provençal ne chante guère, l’humour est au placard. A-t-il jamais été drôle ? » ; elle note encore que ses « réflexes » ne sont « pas assez sûrs » car il enverra un SMS tardif pour reformuler l’une de ses réponses, qu’il n’a pas « le verbe sémillant de ceux qui répliquent », mais bien plutôt « la ténacité de ceux qui ruminent ». « Ruminent » : un peu comme les vaches, ou les paysans. On n’est d’ailleurs pas loin du compte : un encart biographique nous apprend que sa mère est femme de ménage, et son père ouvrier.
Enfin, n’oublions pas le titre de l’article, bien en gras : « Pas très plaisant »… Cela veut sans doute dire que Franck Moulet fait figure de mauvais coucheur, qu’il ne prend pas les choses avec la distance nécessaire, qu’il combine la lourdeur et l’obstination propres aux autodidactes. Cela indique surtout qu’une scène ancestrale se rejoue ici. Il fut un temps où les courtisans savaient ne faire qu’une bouchée de ces fortes têtes aux semelles crottées : un peu ridicule, ce garçon qui manque d’esprit de repartie, un peu ridicule, celui-là qui n’a pas le verbe acéré. Des paroles longtemps pesées, des paroles qui pèsent des tonnes : disqualifié. L’on ne saurait, si l’on est du bon ton, compatir que du bout des doigts à ses malheurs. Photo chiadée, approche décalée, écriture jeune et référentielle : voilà pour la touch of class du portrait sauce Libé, qui a le bon goût de donner un nouveau lustre au mépris de classe. Et d’élargir le cercle des rieurs : ce ne sont plus à quelques salons confinés, mais à plusieurs milliers de lecteurs qu’il est permis d’observer le piège dans lequel est tombé notre prolo casse-pieds. Il n’a pas recherché la notoriété, il prétend simplement faire connaître et faire réparer une injustice criante, il se retrouve désossé pleine page par une Célimène aux tout petits petons. La laideur du procédé ne cesse de surprendre, elle surprenait déjà Louis-Sébastien Mercier il y a plus de deux siècles, lorsqu’à la veille de la Révolution française, dans son Tableau de Paris, il décrivait et commentait la pratique du « persiflage » : on amuse « une société entière, aux dépens de la personne qui ignore qu’on la traduit en ridicule (…). Mais quel esprit y a-t-il à abuser de la simplicité ou de la confiance d’un homme qui s’offre aux coups sans le savoir ? (…) Cette manière de railler est donc pitoyable, parce qu’il n’y a point d’égalité ».

1Les Mots des riches les mots des pauvres, aux éditions Anne Carriere (185 pages, 17 ).

Il n’y a point d’égalité Par Gilles Magniont
Le Matricule des Anges n°52 , avril 2004.
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