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Domaine étranger Les femmes mortes de James Ellroy

mai 2004 | Le Matricule des Anges n°53 | par Gilles Magniont

Quelques articles au fond du tiroir suffisent à confirmer la figure intransigeante de James Ellroy, romancier hanté par les rapports de police.

Destination morgue

S’il y a bien une qualité qu’Ellroy n’envie pas, c’est la décontraction. À bientôt 60 ans, l’affaire lui paraît entendue : « Avoir l’air cool, c’est absurde ». Il suffit d’ailleurs de l’avoir vu au travail dans quelque reportage, alignant à toute berzingue des lignes en grosses majuscules, pour s’assurer qu’il ne rigole pas. Il n’en a d’ailleurs peut-être pas le temps, depuis vingt ans qu’il crache de l’encre. Avec le Quatuor de Los Angeles, il a prétendu devenir le premier auteur de polars au monde. Sitôt fait, il a entrepris de narrer sa propre existence, au prisme de l’assassinat de sa mère, perpétré lorsqu’il n’avait que 10 ans : affaire non résolue, pavé de 500 pages, Ma part d’ombre. Puis il a voulu réécrire l’histoire de son pays, rien que ça : voir la trilogie Underworld USA, actuellement en attente du dernier volume. Quelle nécessité alors à Destination morgue ? Prenons le livre par le début. Surprise, voici qu’un art poétique vient assurer le lever de rideau. « C’est un Rubik’s Cube. Le mécanisme interne affiche des souvenirs et des pensées. Des images remplacent les blocs colorés et trouvent leur cohésion en un clic. Les lignes horizontales se connectent. Les perpendiculaires apparaissent. Vous prenez ce dont vous avez besoin et ce que vous avez été et vous le passez au crible de ce que vous êtes devenu. Vous y mettez de l’ordre. Vous y rajoutez quelques extravagances. Si vous êtes habile et honnête et pur, cela fonctionne » : sujet verbe complément sujet verbe complément sujet verbe au diable le complément. Des affirmations que rien ne tempère, pas de rondeur ni de distraction : une drôle de manière de monter les marches tout droit, occupé en même temps à regarder derrière soi. Bien sûr, rien du stylo-plume Vieux Monde, traçant patiemment les cercles de son ressassement ; mais rien non plus du logiciel américain, prompt à effacer les premières épreuves. Un art de l’obsession dynamique, en somme et une fois encore, il faut bien avouer que cela « fonctionne ».
Certes, l’objet pose problème. Deux gants Mapa sur la couverture, un titre débile, roulez commerce : il s’agit de faire patienter le public des aficionados entre deux livraisons romanesques. Va alors pour quelques textes ficelés à la hâte : des articles publiés dans le magazine GQ entre 1999 et 2003, plus un court récit. Cette cerise, d’ailleurs, ne s’imposait pas : si Ellroy excelle dans l’ampleur, il paraît maladroit à trousser des nouvelles. « Un baisodrome à New York » s’avère être une fiction policière invraisemblable et curieusement outrancière, à tel point qu’on s’interroge sur l’éventuelle dimension parodique du truc. Laissons de côté pour revenir aux articles. Ellroy y disserte donc : sur la mort de sa mère à nouveau, sur lui et sa « vie de branleur » neuf ans d’ « immolation » à pratiquer le sexe « sans contact humain », sur O.J. Simpson qu’il exècre et les boxeurs mexicains qu’il vénère, eux qui « d’un bout à l’autre de la planète » démontrent « aux lopettes à peau blanche la séparation entre le corps et l’esprit ». Rien sur les attentats, rien sur son président : faisant la promotion de son livre, il a récemment éludé une question à ce sujet, déclarant ne pas s’intéresser « du tout » à la politique de son pays. On ne le verra sans doute jamais adopter le rôle espéré en nos contrées d’« observateur » de l’Amérique, démocrate appliqué à en exposer gentiment les tares. C’est peut-être qu’il ne saurait être question, à ses yeux perçants, de s’extraire de la fange : chaque texte mêle ici les stridences suraiguës du Bien et du Mal, les histoires de cul et la souffrance des martyrs, le nom des acteurs corrompus et celui des protestants fiévreux (« Martin Luther aurait été un sujet de choix pour les gazettes à scandale. Il parlait tout seul et il s’adressait à Dieu dans les chiottes. ») À quoi il faut ajouter les rapports de police, matrice fascinante de sa prose. Il faut imaginer notre homme : lui qui aimait autrefois s’introduire par effraction dans des maisons inconnues, y flairer les intimités, emporter quelque trophée de coton lavable à 60°C, il se penche aujourd’hui sur des cartons de vieux papiers et s’absorbe dans la lecture des affaires non résolues. Tiens, par exemple, Stéphanie Lynn, morte à 16 ans « en 1965 » ; il accompagne les policiers pour une réouverture de l’enquête ; il « n’a jamais rêvé d’être flic », « n’a jamais résolu une affaire criminelle », mais parvient « parfois à connaître les victimes »… Et lorsque l’enquête n’aboutit à rien, il conclut sans jamais conclure : « C’est fini. Ce n’est pas fini (…). Refermer le dossier n’a aucun sens. Aucun drame aussi horrible ne se termine jamais. L’identité du tueur est cruciale et ne compte pas. Il a connu Stéphanie pendant dix minutes. Il ne l’a jamais aimée. Ses souvenirs sont brutaux et suspects (…). Tu as des admirateurs. Trois enquêteurs et un chroniqueur. Nous voulons te connaître. C’est une quête. C’est une issue plus probable que la justice ». Pour celui qui est « fiancé au crime » et qui vit de ne pas faire le deuil de sa mère, il n’est pas de psychanalyse qui vaille, pas de carton qui puisse être définitivement refermé.
Là est sans doute la plus belle idée du livre, celle qui donne toute sa force au déni des châtiments réparateurs : la peine de mort n’est qu’une « concession à la notion stupide selon laquelle il vaut mieux qu’une affaire soit » close«  », « un dialogue détourné et phagocyté par les détails d’un meurtre gratuit ». À lui, alors, de rétablir ce dialogue, et de frayer avec les morts qui « nous apprennent à aimer avec plus de douceur et de crainte et à révérer nos obsessions ». Marrant : on se surprend à penser aux « pauvres morts » de Baudelaire, entre deux lignes du Républicain aux allures de brute. Marrant : il s’avère que pour celui-là qui affirme évoluer « dans le vide », entre quelques photos de chien et loin des salles de cinéma comme des musées, le vide est sacrément hanté. La culture telle que nous l’entendons parfois n’y a peut-être pas sa place ; la littérature y est tout entière chez elle.

Destination
morgue

James Ellroy
Traduit de l’américain
par Jean-Paul Gratias
Rivages/Thriller
290 pages, 19,50

Les femmes mortes de James Ellroy Par Gilles Magniont
Le Matricule des Anges n°53 , mai 2004.
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