C’est comme la bande-annonce de l’été : ciel bleu, chants d’oiseaux, « gendarmes » ces insectes rouges qui courent sur le vert tendre des trèfles et le soleil qui lustre les feuilles des ormes. La Mayenne, en ce mois de mai, fait ce qu’il lui plaît : elle contredit ce que Jean-Loup Trassard écrit de son ciel bas et lourd, de la boue des champs et des ornières profondes des chemins creux. La table de jardin, ronde et blanche, a été sortie devant la maison familiale, un tricycle couché sur l’herbe atteste de la présence des petits-fils et que sa selle attire moins que les cinq chevaux qui viennent d’arriver depuis l’Est de la France. Jean-Loup Trassard a vendu cet hiver ses vaches Maine-Anjou. Pour égayer les champs qu’il lui reste et parce que décidément, il ne peut vivre sans animaux, il a acquis trois juments et deux mâles d’une race polonaise qui fait les chevaux assez petits. C’est l’événement dans la maison de Saint-Hilaire-du-Maine où les enfants sont descendus depuis Paris pour un week-end prolongé consacré aux nouveaux venus.
Six mois par an, l’écrivain quitte son studio parisien de la rue Bonaparte pour retrouver la maison qui le vit naître. Une maison qu’il aurait du mal à quitter. Il y a quelque chose d’impressionnant à venir ici, retrouver les lieux même qu’évoquent certains de ses livres, dont La Déménagerie, le roman qu’il vient de faire paraître. Et dans cette maison, entourée d’une verdure qui descend vers les champs entre deux murs de pierres envahies de lierre, l’écrivain a engrangé toute une vie de souvenirs, de la fin des années trente jusqu’à aujourd’hui. Il naît là en 1933, dans un mois d’août qu’on imagine peuplé probablement de plus d’insectes. Son père, normand, a rencontré sa mère au Mans où tous deux vécurent. Lui est fermier de droits communaux : en Normandie et en Bretagne il gère les marchés pour le compte des communes qui lui ont laissé la concession. La maison de Saint-Hilaire-du-Maine est d’abord le lieu de villégiature des grands-parents maternels, dont le père fera l’acquisition en 1930. À douze kilomètres de la Bretagne, elle offre le cadre campagnard dont le père d’abord, le fils, ensuite et plus que tout, tomberont amoureux. « Mes parents voulaient que je naisse à la campagne » dit le gentleman-farmer avec un accent de reconnaissance dans la voix. La campagne, la terre, les vaches, les chevaux : ces mots viennent dans la conversation comme s’ils en étaient la moelle épinière. Dans ce cadre champêtre, ils ne portent pas la touche d’exotisme que les livres de Jean-Loup Trassard diffusent sur le catalogue Gallimard.
Un thé et des brioches sont servis sur les marches qui mènent au potager où l’aîné des petits-enfants court en lançant au ciel ses rires impeccables. L’art de vivre ici s’accorde à la terre et au ciel.
On voudrait un moment arrêter les minutes et faire un saut en arrière. Revenir avant-guerre et voir la demeure à laquelle quatre allées d’ormes conduisaient. Imaginer...
Dossier
Jean-Loup Trassard
Les belles lettres agricoles
juin 2004 | Le Matricule des Anges n°54
| par
Thierry Guichard
Écrivain et photographe, Jean-Loup Trassard s’est mis récemment au roman. Ses terres s’en trouvent étendues et le souffle qui les traverse porte en lui l’esprit des morts et le silence des bêtes.
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