La lettre de diffusion

Votre panier

Le panier est vide.

Nous contacter

Le Matricule des Anges
ZA Loup à Loup 83570 Cotignac
tel ‭04 94 80 99 64‬
lmda@lmda.net

Connectez-vous avec les anges

Vous n'êtes actuellement pas identifié. Pour pouvoir commander un numéro, un abonnement ou bien profiter, en tant qu'abonné, des archives en ligne, vous devez vous connecter avec votre compte.

Retrouver un compte

Vous avez un compte mais vous ne souvenez plus du mot de passe ? Vous êtes abonné-e mais vous vous connectez pour la première fois ? Vous avez déjà créé un compte, peut-être, vous ne savez plus trop ?

Créer un nouveau compte

Vous inscrire sur ce site Identifiants personnels

Indiquez ici votre nom et votre adresse email. Votre identifiant personnel vous parviendra rapidement, par courrier électronique.

Informations personnelles

Pas encore de compte?
Soyez un ange, abonnez-vous!

Vous ne savez pas comment vous connecter?

La révolution Jusqu’au dernier grand soir

juillet 2004 | Le Matricule des Anges n°55 | par Dominique Fabre

Dans les internats où j’étais on a fait pas mal de révolutions. Moi en général, comme j’étais boursier j’étais plutôt contre, surtout au début. Ma mère touchait un peu d’argent pour que je sois élevé chez les saints-pères. Puis, d’accord, mais quand même ! Il y a des circonstances où on ne peut pas ne pas monter au créneau. C’était hier, avant. Nos révolutions déjà préhistoriques, j’y pense souvent. Je les regrette un peu, et pour certaines d’entre elles, je me dis qu’on aurait dû les continuer, toute la vie en révolution, à force, on aurait pu changer des choses. Mais bon, comme on disait alors, en 1976, ou par là, on s’est fait « rattraper par le système ». On l’emmerde sérieux, le système, mais bon, qui s’en soucie encore ? Pour de vrai ?

En 6e, Jérémie Daguerre avait un retard de croissance. On le surnommait le pédé. Et comme on m’appelait le juif, à cause de mon fort accent savoyard (?), et de mon nez poussé trop vite (j’arrivais d’un endroit où on faisait les foins, les moissons, le miel, où on trayait les vaches sans machine, direct en proche banlieue parisienne), on avait tout pour tomber dans les bras l’un de l’autre, le juif pas juif et le pédé pas pédé. On couchait dans le même lit, après l’extinction des feux. On ne se parlait pas d’amour, ni de la révolution. On se parlait surtout de la vie plus tard. Il me racontait le père qu’il n’avait pas, et moi, j’en tartinais, sur celui que j’aurais bien aimé avoir. On s’est tapé des rêves (et quelques branlettes aussi) pendant tout le premier trimestre. Puis, le 16.01.1973, lui et moi, on a fait notre première révolution. Le surge nous a demandé d’arrêter nos cochonneries, avec sa voix de tonnerre de dieu et une grosse lampe de poche à batterie, comme celle des mineurs de fond. Je suis retourné, honteux, à ma place, sous les quolibets des autres. Puis, quand dans le boxe du surge, il a fait noir, Jérem est venu me voir. Je crois que je l’attendais. On s’est inquiétés. On allait peut-être devoir subir une opération ? On allait encore devoir se bagarrer avec les autres. On allait peut-être et on a été convoqués par le père supérieur pour nos jours de renvoi. On a dit qu’on faisait ça parce qu’on caillait dans le dortoir. On a dit qu’on n’était pas juif ni pédé. On a dit qu’on voulait la protection des autorités et de tout le saint-frusquin.

Ma mère et la sienne nous attendaient juste derrière la grande grille noire. On était en avance sur notre temps, lui et moi. Mais le temps elles se le cognaient jour après jour, avec le travail salarié. Celle de Jérem me paraissait plus âgée, elle était venue en voiture. Ma mère était transparente, avec son fond de teint trop clair, en train, en bus, et puis à pied. Elles étaient inquiètes sans trop vouloir non plus. Virés. Et voilà.

Dans le nouvel internat, on en a fait une autre. Là, à seize ans, nous avions quelques références. Marx donnait mal à la tête mais pas Che Guevara. Rousseau était carrément chiant, Rouge et Charlie Hebdo nous arrivaient en contrebande, le lundi matin. Il y avait quelques meneurs dont un sérieux, Antonio était déjà d’extrême gauche. Ce coup-ci ils avaient accusé de vol un interne, à cause de leur propriété privée. On s’est retrouvés là, comme plein d’autres, 150 en tout, debout tout raides dans la grande cour, tous les troisièmes, on était vraiment révoltés. On nous a bien fait poireauter, si ce n’était pas lui le voleur, qui c’était ? Les curés de cet internat se sentaient vraiment sur la brèche. On ne voulait plus rentrer dans nos classes. Antoine nous disait qu’il fallait tenir bon, et merde aux jaunes. Un élève a fini par s’avancer, en pleurant. Moi, mon estomac gargouillait, mais je lui aurais quand même bien foutu des claques. Quelle balance ! Fin de la révolution. On a eu du rab de frites, le lendemain, au déjeuner. On en avait encore loupé une.

Et plein d’autres, celle pour avoir le droit de lire Rouge. Celle pour avoir le droit de porter les cheveux longs, celle pour avoir le droit de manifester en faveur de Jacques Mesrine (à Chatou-Croissy, dans les Yvelines !), celle pour avoir le droit de faire l’amour sans être emmerdé par les parents, celle pour avoir le droit d’aller à Paris manifester contres les « fafs », puis celles pour Pierre Overnay et plein d’autres types dont je me souviens mal, et contre aussi, et cetera. Selon les types comme Antonio il fallait distribuer des tracts, coller des affiches, se bagarrer parfois, partir à Berlin ou en Israël, s’autogérer, s’intéresser à la production des usines, c’était trop dur, beaucoup trop dur pour un petit bonhomme comme moi. Puis, on est tous allés notre sens, loin des anciens cortèges et des nouveaux défilés.

Une dernière pour la route. Avec Bruno, on s’était retrouvés à boire un demi à la terrasse d’un grand café de l’Odéon, et l’addition était salée. Merde aux valets du travail salarié ! On a tiré à pile ou face pour se donner le top départ démocratie directe à main levée. Trois, deux, un ! Mon pote est parti en avance, mais je l’ai bientôt dépassé, j’ai regardé derrière : il avait perdu son portefeuille au démarrage, sur le trottoir. Le garçon l’a récupéré, vraiment hilare. C’est à vous tout ce pognon-là ? Il nous a demandé combien on allait lui laisser de pourboire. On n’a même pas eu le droit à un panier à salade. On s’est quittés, Bruno et moi, un peu dégoûtés, et après, hilares nous aussi, sous le regard des autres gens. Difficile de changer la vie, avec 15 pour cent de pourboire ? La raconter quand même sans se laisser abattre, la vie, jour après jour, comme ça vient. Comme ça va ou ça va pas, jusqu’au dernier grand soir, le plus tard possible, cependant.

par Dominique Fabre *

* Romancier et nouvelliste
Dernier titre paru : Pour une femme de son âge (Fayard)

Jusqu’au dernier grand soir Par Dominique Fabre
Le Matricule des Anges n°55 , juillet 2004.
LMDA papier n°55
6,50 
LMDA PDF n°55
4,00