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Domaine étranger Rythm’n foot

juillet 2004 | Le Matricule des Anges n°55 | par Gilles Magniont

John King donne à comprendre dans « Football factory » ces prolétaires maudits que sont les hooligans londoniens. La crudité du verbe résonne puissamment, l’acuité du sens politique est à son comble. Salutaire réédition.

Football factory

Football factory

Il n’aura pas fallu attendre longtemps, juste quelques matchs de championnat d’Europe, pour qu’encore ils défrayent salement la chronique. Les voilà déjà exclus du rang des supporters, les voilà déjà intolérables : les hooligans semblent bien n’avoir qu’un seul visage, celui du nazillon. Autant dire qu’il faut beaucoup de talent pour nous faire entrer dans la tête de Tom Johnson, supporter de l’équipe de Chelsea qui travaille la semaine, en attendant de pouvoir se fritter le samedi. Ce sont notamment ces samedis-là qu’il raconte ici.
S’il fallait classer Football factory 1 dans un genre, ce serait dans la catégorie du rock punk. À la fois sagace et nerveux, il réalise ce que la musique peut atteindre : le point de fusion entre le rythme et les choses exprimées. Ainsi les très concrètes scènes de baston, pièces maîtresses dans un univers organisé symboliquement plus que réellement autour du football, trouvent leur accord profond avec la cadence électrique qui les exprime : « Millwall est partout à la fois. Ils ont dû nous attendre en masse, plus bas dans la rue. Ils sont déchaînés, ils nous tombent dessus comme des malades, assoiffés de sang, avides de nous tuer à coups de pied, et les briques et les bouteilles ne cessent de nous pleuvoir sur la tronche, mais d’où, on n’en sait foutre rien, à moins que les retraités, à leurs balcons, ne soient en train de démanteler leur appart. On ne voit pas ce qui se passe au-dessus, parce qu’on se concentre sur la castagne, là, à cinquante centimètres, et nos oreilles sont brûlantes, c’est le vacarme, c’est le bordel, l’écho sourd, amorti, des coups de poing et de pied, et une barre de fer, quelque chose comme ça, qui vient me cueillir en pleine tempe. » Les coups sont ainsi pleinement rendus à leur statut de mode d’expression. Même adéquation au réel dans ces phrases qui, semblant s’enchaîner au rythme aberrant de la descente de dix pintes de bière, épousent la démesure de murges couronnant la fin d’une semaine de travail exploité : « Huit heures, neuf heures, la soirée file à toute blinde, c’est la fin de la semaine, tu as deux jours devant toi et la bière est fameuse. Le paradis qui coule, glacé, âcre dans la gorge. Des bulles chimiques, un poison brassé à la hâte pour les locdus qui apprécient. Tous les gars sont chauds, ils racontent des conneries qu’on aura oubliées demain, la musique donne à fond et tu es obligé de crier, mais c’est le rythme qui compte (…), qui te fait oublier le besoin de réfléchir à ce que tu dis, alors tu dis n’importe quoi, tu parles et tu gueules et tu remues la langue, et plus tu es torché, plus tu te rends compte que les mots qui sortent de ta bouche n’ont rien à voir avec ceux que tu avais en tête. » Au contact des rêveries du manutentionnaire, nécessaires pour lui faire supporter sa journée de travail, la rudesse de la langue s’atténue, le mouvement ralentit : « C’était un dur labeur, et fastidieux, très fastidieux, de sorte que Sid passait la matinée à travailler en rêvant. Il s’imaginait avant-centre des Queen’s Park Rangers, une des meilleures équipes de foot qu’on ait jamais connues (…). Il ferma les yeux, pour empêcher la sueur de l’aveugler, et s’observa en train de se diriger vers la tribune royale, où Lady Di applaudissait avec ferveur son joueur préféré, le visage éclairé d’une expression parfaitement dénuée d’ambiguïté : c’était l’amour. »
La psychologie n’apparaît jamais comme une construction factice qui se superposerait au factuel, tout ce qui est réflexif adhère sans faillir à tout ce qui est descriptif, l’idée devient réalité et les mots surviennent à point nommé pour consacrer cette métamorphose. À travers chaque mise en scène de beuverie, de bagarre ou de sexe, John King fait danser les contradictions de la société britannique jusqu’à y faire apparaître la vérité sans ses voiles. Elle éclate dans le portrait de ceux qui sont considérés, tant par l’extrême gauche « cultivée » et prétendument soucieuse de solidarité que par les tenants du pouvoir, comme les rebuts du prolétariat, la honte de l’Angleterre. Le racisme de classe semble alors plus violent et pernicieux qu’aucun autre. « On doit être comme les nègres, d’une certaine façon. Des nègres blancs. De pauvres Blancs. De la merde blanche. Nous sommes une minorité parce que nous sommes soudés. Peu nombreux. Fidèles, loyaux. Le foot nous donne quelque chose en plus. La haine, la peur nous rendent différents. Et on est issus de la majorité silencieuse, ce qui fait que les connards qui nous dirigent n’arrivent pas à nous repérer. Nous partageons la plupart des idées de la masse mais nous les avons adaptées à nous. Nous sommes un peu de tout. Il n’y a pas d’étiquette possible. Nous sommes haïs des riches, et inacceptables pour les socialistes qui se la jouent charitables. Nous sommes satisfaits de notre vie, nous n’avons pas besoin de travailleurs sociaux » : qu’on se le dise.
Voilà ainsi cassées les ficelles du monde capitaliste, voilà balayée l’hypocrisie d’une gauche de carton-pâte qui, faute de sensibilité politique concrète, davantage préoccupée de ses propres intérêts que de ceux de la classe ouvrière, déguise sa haine des individus rebelles à son contrôle sous une fausse commisération. On est pourtant bien loin du white trash et de ses couplets sur la vérité de l’hétérosexuel mâle et blanc : ici, pas de posture artificielle. Juste la voix métallique d’un déterminisme lucide sur lui-même.

Football factory
John King
Traduit de l’anglais
par Alain Defossé
Éditions de l’Olivier
364 pages, 20

1 Éditions Alpha Bleue, 1998 ; J’ai lu, 1999

Rythm’n foot Par Gilles Magniont
Le Matricule des Anges n°55 , juillet 2004.
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