À peine cinquante pages, dix-huit lettres et un câblogramme pour dire la rupture irrémédiable entre deux marchands de tableaux, entre novembre 1932 et mars 1934 : l’un, Juif américain, écrit depuis la Californie, l’autre, son associé allemand, répond depuis Munich, où il se laissera peu à peu envoûter par les sirènes du nazisme. On est ici en terrain concis : l’échange épistolaire sait se concentrer sur la détérioration d’une amitié, jusqu’à ce qu’une chute, allusive et efficace, suggère l’arrêt de mort prononcé par l’un des marchands. Ces qualités expliquent sans doute le succès d’Inconnu à cette adresse, succès non démenti depuis la première parution en 1938. Faut-il pour autant parler, comme le fait ici la postface, d’une « nouvelle parfaite » ? Ce serait quand même passer un peu vite sur l’écriture, qui mêle parfois lourdement l’Histoire et l’intime, ainsi qu’il est d’usage dans certaines fresques de bon ton. « Qui est cet Adolf Hitler qui semble en voie d’accéder au pouvoir en Allemagne ? Ce que je lis sur son compte m’inquiète beaucoup », s’interroge l’Américain ; « On a trouvé un Guide ! Pourtant, prudent, je me dis tout bas : où cela va-t-il nous mener ? Vaincre le désespoir nous engage souvent dans des directions insensées », s’interroge aussi l’Allemand. L’auteur a pourtant affirmé s’être inspiré d’authentiques lettres… Comme quoi, vraiment, le vrai n’est pas toujours vraisemblable.
Inconnu à cette adresse de Kressmann Taylor - Traduit de l’anglais (américain) par Michèle Lévy-Bram, Le Livre de Poche, 90 pages, 4,50 €
Poches Liaisons dangereuses
juillet 2004 | Le Matricule des Anges n°55
| par
Gilles Magniont
Un livre
Liaisons dangereuses
Par
Gilles Magniont
Le Matricule des Anges n°55
, juillet 2004.