Melampu Camundu n’est pas un facteur comme les autres. Il « s’enfile des tartes entières sans sourciller » et se plaît à « humer les petits grumeaux malodorants » qui chaque jour se déposent au creux de ses orteils. « Si tu continues comme ça, ton sang tourne saindoux et te fait sauter le cerveau », lui répète inlassablement le docteur Cilloni. La première traduction française d’un roman de Salvatore Niffoi prend pour cadre la Sardaigne profonde, terre natale de l’auteur, là où les champs brûlés par le soleil ne peuvent accueillir que des oliviers et quelques chèvres. Dans le petit village de Pirakerfa, Melampu distribue le courrier. Lubrique, asocial, Melampu cultive la solitude au milieu des siens. Marqué par le suicide de son père, peut-être « fatigué d’épierrer ses trois hectares de terre qui ne rendaient même pas les semences », sans argent, il ne rêve que de rencontres furtives avec la pharmacienne. Et pourtant, Melampu est poète. Il récupère les lettres adressées à son ami Mitrio, ancien baroudeur aujourd’hui décédé, et répond aux correspondants dans un style qui se situe à mille lieues de son vocabulaire habituel. Le paradoxe est là : dans une langue soutenue et poétique qui fait la part belle aux descriptions d’une nature sèche et difficile, Salvatore Niffoi met en scène un héros brisé par la vie, maintenu à fleur d’eau par la seule contemplation des « maigres nuages ». Un livre fort sur le désespoir et sa sublimation par l’écriture. Une rédemption rendue difficile par des bouffées de violence qui traversent tout le roman, autres manifestations de la souffrance humaine.
F. M.
LE FACTEUR DE PIRAKERFA
DE SALVATORE NIFFOI
Traduit de l’italien par Claude Schmitt, Zulma,
Domaine étranger Lettres ouvertes
octobre 2004 | Le Matricule des Anges n°57
| par
Franck Mannoni
Un livre
Lettres ouvertes
Par
Franck Mannoni
Le Matricule des Anges n°57
, octobre 2004.