Depuis 2002, Michel Onfray enseigne à l’« université populaire » de Caen, qu’il a lui-même créée, et qui a pour vocation de dispenser le savoir au plus grand nombre. On n’y délivre aucun diplôme, mais on n’y exige pas non plus niveau d’admission ou chèque d’inscription. L’homme de la rue peut venir s’asseoir sur les bancs de l’amphithéâtre, puis les quitter la tête mieux faite. Quel discours tenir devant cet homme-là ? Comment le pédagogue s’adaptera-t-il à un auditoire non averti ? France Culture ayant eu la bonne idée de retransmettre certains séminaires de cette université, nous sommes en mesure d’apporter ici quelques éléments de réponse, qui s’appuient notamment sur un cours diffusé fin août, dans lequel M. Onfray évoqua principalement Montaigne et Marie de Gournay.
Règle n°1 : en chaire, dépenser sans compter les noms propres. Onfray fut en ce sens épatant. Noms de philosophes noms d’écrivains noms d’universitaires ils défilèrent joyeux, chacun chassant l’autre d’un viril coup d’épaule. Aucun n’occupa vraiment la scène ils brillèrent tous une poignée de secondes, étoile qu’on promettait de démasquer un jour prochain (séminaire 2005-2006), astre ceint d’une légende comme au ciel d’un Annabac (tel Théophile de Viau « le libertin »), plus souvent comète obscure dont le passage seul dessinait le Ciel du Savoir. Ô la belle guirlande, et sa salutaire nudité ! L’étudiant dont la main peine à griffonner tant de patronymes doit se rendre à l’évidence : c’est la culture qui vient frapper à sa porte.
Une porte qui ne doit pas s’ouvrir trop difficilement. On a créé de la distance, il s’agit maintenant de mettre à l’aise. D’où la règle n° 2 : user d’un registre familier. Là encore, Onfray force le respect. Rappelons qu’il s’est imposé un sujet difficile : dessiner la figure de Marie de Gournay, jeune admiratrice des Essais. Tout cela semble bien loin, la rencontre entre une demoiselle à particule et un vieil auteur périgourdin, en 1588… Qu’à cela ne tienne ! Gardant en mémoire que Montaigne a écrit de Marie qu’elle lui portait une affection « surabondante », Onfray a ce mot merveilleux : ce devait être une « excitée de première ». L’enregistrement permet à cet instant d’entendre quelques rires : joie bien compréhensible du public qui progresse vers la vérité. Il ne faudrait pas, alors, que la poussière des bibliothèques s’avise de ternir des couleurs si franches. La règle n°3 saura y veiller : tirer à soi la langue des siècles passés. « J’ai pris plaisir à publier en plusieurs lieux l’espérance que j’ai de Marie de Gournay le Jars, ma fille d’alliance : et certes aimée de moi beaucoup plus que paternellement », lit-on dans les Essais. Ah, ce « beaucoup plus que paternellement » ! Qu’est-ce à dire, tempête Onfray, sinon que Marie et Michel ont eu une aventure ? et ils auraient eu tort de se priver, rajoute-t-il avec la bonhomie qui scande maintenant les temps forts du cours. Ce faisant, il ne s’égare pas dans des vétilles philologiques : que l’amour dit « paternel » n’ait pas la même charge d’intensité pour un homme du 16e siècle et qui plus est pour celui qui écrit ailleurs avoir perdu « deux ou trois enfants » ou que les amours « d’alliance » désignent alors des amitiés supérieures, voilà vraiment l’affaire du parterre ! Parlons-lui plutôt de la « judéité » de Montaigne ou du « féminisme » de Marie de Gournay, employons des termes qui font débat et résonnent à ses oreilles républicaines. C’est une université populaire, oui ou non ?
Avec la langue M. Homais et l’excitée
octobre 2004 | Le Matricule des Anges n°57
| par
Gilles Magniont
Comment faire une bonne soupe populaire avec plein de mots dedans.
M. Homais et l’excitée
Par
Gilles Magniont
Le Matricule des Anges n°57
, octobre 2004.