Neige d’août N°10

La revue Neige d’août atteint son dixième numéro, soit une belle régularité de parutions depuis sa création en 1999. Dirigée par Camille Loivier et d’un comité presque intégralement féminin, la revue est sous-titrée « Lyrisme et extrême-orient », ce qui l’inscrit bien dans un champ de réflexion : sur le langage, sur le statut du poème face au langage, sur le rôle du poète, sur sa station devant le monde, sur la puissance de la voix, sur, enfin, tout ce qui vient avec ce que l’on appelle un lyrisme critique. Tout cela est, mais pas exclusivement, relié à un Orient extrême, façon de le faire entrer à un moment dans l’Occident, par la conjugaison de thèmes, comme pour ce cahier 10 intitulé Les Herbes du chemin. L’idée de s’engager dans une sente maigre, de suivre la voie, de ne rien négliger des bas-côtés, on la trouve ici aussi bien dans le très tonifiant et plutôt rabelaisien Vers de Jean-Pascal Dubost qui vous parle d’avoir « rongé tant pain dur et tant pain noir et maintes nuitées maints matins et boirai tant vins morillons… » que dans les poèmes du Chinois Leung Ping-Kwan, lequel évoque un café où « je tombe sur des amis que je n’ai pas vus depuis longtemps/ entre les amuse-gueule et le bouillon de riz/ un thé absorbe le temps d’une vie » et une soupe de tôfu ou des poivrons jaunes. On retiendra également de ce cahier le lyrisme descriptif de Lu Yuan (« je transpire souvent en marchant,/ les flocons de neige se dissolvent avec ma sueur/ trempent et réveillent mon cœur las ») ou encore le Sud-Coréen Hwang Chi’u qui retraça l’histoire contemporaine de son pays (dont le massacre de Kwandu en 1981), son ironie non feinte lorsqu’il écrit la mort lente d’un crabe au marché. Ne se contentant pas d’illustrer un extrême orientalisme, Neige d’août confronte, par ses traductions, le français au parler chinois, pour tordre l’idée géographique d’une langue, pour la déplacer dans d’autres corps. C’est un travail de repiquage, en somme, comme pour le riz. Idée, pour le moins, magnifique.
Neige d’aoÛt N°10 (photos de Leung Ping-Kwan),
128 pages, 14 € (40, rue Custine 75018 Paris)