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Égarés, oubliés Une violette noire et discrète

janvier 2005 | Le Matricule des Anges n°59 | par Éric Dussert

Amie de Poulenc et de Fargue, Raymonde Linossier a laissé un seul roman de trente lignes qu’admirait Ezra Pound. Sa vie d’une discrétion exemplaire fut entourée de mystères.

Tandis que certains suent sang et eau dans l’espoir, vain souvent, de passer à la postérité, le viatique de Raymonde Linossier se compose d’un simple roman de trente lignes, ou à peu près, dont la réputation ne faiblit pas. Réimprimé sous le manteau parfois, officiellement aussi, ce petit texte fut encore récemment repris par les éditions Tarabuste lorsqu’elles songèrent à expédier leurs vœux avec grâce pour l’année 2003. C’est peu dire que Bibi-la-bibiste est une œuvre brève. Brève aussi la liste des connaissances dont on disposait sur son auteur, au point que certains de ses éditeurs ont répété des informations un peu faisandées. Il faut reconnaître que la vie de Raymonde Linossier fut en effet, selon la formule de Sylvia Beach, la libraire américaine du Paris de l’entre-deux-guerres, « 5 % études de droit, 95 % restaient cachés ». Ses proches eux-mêmes n’en connaissaient souvent qu’un bout.
En 1999, dans un volume collectif consacré à Francis Poulenc Music, Art and Literature (UK, Ashgate Publishing), Sophie Robert nous en a enfin appris plus que la vulgate courante. En centrant ses recherches sur la librairie d’Adrienne Monnier, La Maison des Amis des Livres, bien connue des lecteurs de Joyce, Larbaud ou Fargue, S. Robert a glané des faits de belle importance.
Raymonde Linossier est née à Lyon, le 25 mars 1897, dans une famille bourgeoise. Son père est un fameux biochimiste, professeur à la faculté de médecine, dont les filles, à l’exception de Raymonde, épouseront des médecins prometteurs. Aide-infirmière pendant la guerre de 1914, Raymonde Linossier reprend le chemin des études avec sa sœur Alice et s’installe à Paris où elle entre au barreau en janvier 1926. Elle devient l’assistante de maître Chanvin, autre ami d’A. Monnier, mais cède à d’autres désirs : l’orientalisme la tente mieux et c’est en membre de la Société asiatique qu’elle entre au service photographique du Musée Guimet en 1926. Elle va y œuvrer sur la Bibliographie de l’archéologie bouddhique ou la Mythologie asiatique de Paul-Louis Couchoud.
Voilà donc une part de son existence. Les autres, car il y en a d’autres, auront été le féminisme et ses amitiés artistiques. En ce qui concerne le féminisme, il reste trace de sa participation au Conseil National des Femmes et Sylvia Beach se souviendra que ses études de droit avaient pour but de défendre les prostituées. Curieux paradoxe de cette jeune femme qui choisissait de côtoyer le monde interlope des amours vénales mais masquait à sa famille ses relations littéraires. Il est vrai que certaines pages d’Ulysse dont elle sera un temps la dactylographe, avaient choqué pour la remercier, Joyce glissera son prénom dans l’épisode Circé (p. 582 de l’édition Pléïade).
Adrienne Monnier a évoqué à plusieurs reprises la jeune beauté qui lui apparut un jour d’octobre 1917 dans une robe noire et ne se départit jamais de son mystère. On trouve sa trace dans Les Gazettes et puis dans Rue de l’Odéon. Léon-Paul Fargue laissera pour sa part un superbe texte d’hommage à celle qu’il avait surnommé « La Violette noire » : « Quand je pense à Raymonde Linossier, écrit-il, et Dieu sait si je pense à elle, à chaque instant, entre toutes sortes d’événements et de paysages, elle a si bien tenu sa place dans notre vie à tous, une place singulière, où elle s’amusait avec tant de bon sens, avec un si gai savoir (…) quand je pense à elle, elle ne m’arrive pas de l’autre côté. » (D’après Paris, in Le Piéton de Paris).
Parmi ces amis, Francis Poulenc aura été le plus proche. C’est à Vichy que les Linossier avaient rencontré les Poulenc. Raymonde et Francis sont donc des amis d’enfance, ils resteront de joyeux complices. Tout au long de la courte vie de Raymonde Linossier, ils échangeront des correspondances cryptées qui disent assez l’amitié étroite, si ce n’est parfaite. Puis, un beau jour de juillet 1928, Francis Poulenc demandera sa main par le curieux détour d’une lettre à sa sœur. Il lui aura aussi dédié Les Biches, un ballet « érotique » dont la première fut donnée à Monaco, le 4 janvier 1924, avec les Ballets russes de Diaghilev.
La Violette noire, elle, avait dédié à Poulenc sa Bibi-la-bibiste en 1918. Apothéose du « Bibisme », mouvement pétillant à tendance potachique plutôt que protodadaïste, ce joli petit texte dans le goût de Pierre-Albert Birot fut publié à compte d’auteur et imprimé par Paul Birault que connaissent les lecteurs d’Apollinaire, à l’usage des « potassons », ainsi que se surnommait la petite bande folâtre des clients d’Adrienne Monnier. Alors, sans détruire tout à fait le suspense de ce roman terrible, citons tout de même son premier chapitre : « Sa naissance fut semblable à celle des autres enfants./ C’est pourquoi on la nomma Bibi-la-Bibiste ». Et concluons avec l’ultime : « Dans un lit d’hôpital s’éteignit Bibi-la-Bibiste. Comme Marie sa patronne, comme Jehanne d’Arc, elle était vierge. Mais sa fiche portait la mention « Syphilitique »./ Ô puissance magique d’un regard amoureux ! »
Raymonde Linossier, quant à elle, disparaît soudainement le 30 janvier 1930 dans des circonstances inconnues. Elle repose au cimetière de Valence. Le jour de ses obsèques, Francis Poulenc dépêcha une messagère chargée de déposer dans le cercueil, aux côtés de l’amie enfuie, le manuscrit des Biches. Gage d’amour d’un homme qui, lors de ses déplacements, n’omit jamais d’emporter une photo de sa belle Potassonne et ne se séparait jamais du porte-cigarette qui lui avait appartenu.

Une violette noire et discrète Par Éric Dussert
Le Matricule des Anges n°59 , janvier 2005.
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