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Domaine français L’émoi de l’année

mars 2005 | Le Matricule des Anges n°61 | par Jean Laurenti

Joies de la promiscuité, plaisirs du voisinage. Yves Ravey nous convie à partager la vie d’un échantillon d’humanité, à travers le regard d’un enfant.

Avec Le Drap, son précédent roman, paru lui aussi aux Éditions de Minuit, Yves Ravey nous faisait entrer dans l’intimité de la famille Carossa à un moment tragique de son histoire : l’agonie du père, ouvrier dans une imprimerie, empoisonné au travail par des produits toxiques qu’il a manipulés. Sobre mise en scène de l’irruption des symptômes, et de la progression de la maladie, du face à face inéluctable avec la mort. Raconté du point de vue de Lindbergh Carossa, le fils, ce court roman laissait entrevoir de manière subtile les processus de domination sociale à l’œuvre dans cette existence. Une histoire triste, certes, mais racontée avec humour, avec ce sourire qui nous vient aux lèvres lorsqu’on est attentif aux paroles, aux gestes, aux manies de ceux qui, même lorsqu’ils sont nos parents, restent des enfants fragiles, vulnérables, et quelquefois un peu ridicules.
Dans Pris au piège, Yves Ravey s’attache à un autre épisode de la famille Carossa. Petit retour dans le temps : Lindbergh est alors un gamin d’une douzaine d’années, qui vit entouré de papa et maman Carossa dans une banlieue pavillonnaire et laborieuse de la France des Trente Glorieuses. Pour peu qu’on soit né un peu avant la dernière pluie, on a forcément des souvenirs ou simplement en tête des images de ce temps-là. Et on égrène les pages de ce roman comme on le ferait d’un album de famille, une famille élargie à l’humanité bavarde, craintive et roublarde qu’on observait lorsqu’on était enfant. L’horizon de la famille Carossa est constitué de différents cercles de voisins, au premier rang desquels on trouve la famille Domenico, Robert et sa femme Angèle. Ce couple sans enfant, c’est un peu Emma Bovary qui aurait épousé non pas le brave Charles, mais un Homais mâtiné de Dupont Lajoie, machiste et jaloux, savoureux spécimen de notable imbécile, imbu de son savoir lacunaire, toujours prêt à intriguer auprès des édiles pour placer untel, déboulonner unetelle. Madame Domenico s’est mis en tête d’aider le petit Lindbergh à surmonter ses difficultés en mathématiques. Elle l’entraîne donc chez elle pour l’aider à faire ses devoirs, sous l’œil soupçonneux de son mari : « Monsieur Domenico surgissait dans la cuisine sans prévenir. C’était sa technique. Il marchait sur la pointe des pieds, comme ça elle ne l’entendait pas arriver. Il disait alors qu’il lisait dans ses pensées, même les plus inavouables. » C’est que Madame Domenico n’est pas tout à fait irréprochable. Les mathématiques ne sont pas du tout son affaire : de plus hautes choses l’intéressent, car elle connaît « le plaisir de lire de belles histoires, et elle citait des noms d’auteurs inconnus pour moi qui n’avais pas douze ans. » Cette dame entend donc initier son jeune voisin à la littérature. Le premier livre qu’elle lui lit, c’est un roman d’amour qu’elle exhume de la cave. « Elle disait aussi, c’est une histoire qui se passe dans un village, la femme d’un notaire en est le personnage principal. Mais moi, pendant qu’elle parlait, j’apercevais l’ombre de Monsieur Domenico dans le couloir. » La scène est drôle et en annonce d’autres qui le seront davantage encore. Madame Domenico s’inscrit dans cette lignée très littéraire des femmes mûres qui éprouvent une attirance à la fois maternelle et sensuelle pour les petits garçons. Mais il y a aussi cet hommage rendu aux livres, qui fait écho à celui, plus douloureux, qu’on peut lire dans un essai récent, Pudeur de la lecture, publié par Les Solitaires intempestifs. Yves Ravey y disait combien les livres sont pour lui étroitement liés aux cycles de la vie, naissance, éveil, amour, mort… Au point que, cherchant à remonter le fil de la mémoire, on tombe sur des livres qui contiennent les fantômes de nos journées. « Ma mère et le livre, unis, vous condamnaient aux journées sans fin, dans la chambre ou dans la cuisine, sur le canapé. Nous apprenions le corps décrit dans le texte, ce corps qu’il nous restait à imaginer pour en avoir moins peur. » Et plus loin : « Nous mesurions la longueur des journées à celle des chapitres. »
Pris au piège ne se raconte pas, ou alors juste un peu, en faisant bien attention de ne pas révéler les péripéties importantes qui finissent par arriver dans une histoire où il ne semble pas se passer grand-chose. On verra deux escrocs qui tentent de convaincre le quartier qu’il est menacé par une invasion de capricornes dévoreurs de charpentes. On suivra Lindbergh, soucieux de rapporter dans le grenier des voisins Domenico, le bocal contenant un exemplaire de capricorne, que son père avait emprunté pour le montrer à sa famille. Et puis la scène de jalousie délirante que Robert inflige à Angèle, assiettes brisées, cris, gémissements, menaces. Une scène que Lindbergh suit, sur fond de commentaire du Tour de France, depuis le grenier d’où il ne peut redescendre sous peine d’avoir à rendre des comptes. Et plus le temps passe, plus s’éloigne la possibilité de quitter ce grenier où vont se produire des choses qu’il ne devrait ni voir ni entendre. Un temps long comme la sortie de l’enfance.

Pris au piège, de Yves Ravey
Éditions de Minuit, 108 pages, 10

L’émoi de l’année Par Jean Laurenti
Le Matricule des Anges n°61 , mars 2005.
LMDA PDF n°61
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