Il fut un temps où le style était stylet : rapide, aiguisé, tranchant, il perçait ou entaillait. De Barbey d’Aurevilly à Léautaud, certains rajeunirent ainsi, dans des formes diverses (journal intime, notes, aphorismes), avec une acuité parfois âpre, l’exploration moraliste du XVIIe siècle. Renard s’y exerce ici, à travers saynètes dialoguées, portraits et maximes. D’abord publiés dans divers journaux et revues, réunis ensuite sous le titre rabelaisien de « coquecigrues » (en écho à l’amère ciguë), ces textes sont repris ici en un ouvrage extrêmement soigné par les éditions au nom ô combien adéquat ! de L’Arbre vengeur. Nous y suivons Eloi (double ou caricature de l’auteur) en des avatars successifs : « homme de plume » en ces étouffants salons que décrit si bien le Paludes de Gide, « homme du monde » démasquant sa propre hypocrisie, « homme des champs » enfin, plus proche d’Alceste s’exilant au « désert » que de quelque écologiste moderne. Voilà ce que raconte Renard mais l’essentiel n’est pas là, et seule la citation (et c’est tout le livre qu’il faudrait recopier, entre la fascination et le fou rire) peut donner à goûter l’inimitable ton : alors que le romancier psychologue achète les « accessoires » encore en usage aujourd’hui qui lui seront nécessaires (ainsi « une chaude couverture dont il enveloppera, pour le préserver du froid, son beau talent d’une sensibilité suraiguë »), l’apprenti symboliste « veut, infatigable, toujours aller à l’obscur, vers du plus obscur encore » et le naturaliste débutant, lui, « étudie l’urine et compte les jets de salive en disant : - Tout mon bonhomme est là. Je le tiens. » Mais faisons silence, car Renard apostrophe également le lecteur : « Qui vous demande votre avis ? Prenez donc l’habitude d’attendre qu’on vous interroge. »
Le Mauvais Livre de Jules Renard
L’Arbre vengeur (15, rue Berthomé 33400 Talence), 123 pages, 10 €
Histoire littéraire À l’arme blanche
mars 2005 | Le Matricule des Anges n°61
| par
Thierry Cecille
Un auteur
Un livre
À l’arme blanche
Par
Thierry Cecille
Le Matricule des Anges n°61
, mars 2005.