La Cuisine molle pour édentés
Porteurs de dentier, nourrissons, fanas de purée et autres yaourts, allergiques aux dentistes mais néanmoins pourlécheurs de babines, réjouissez-vous : dans la cuisine de Michel Dehoux et Jean-Pierre Jacquemin, mâchage, croquage et mastication sont formellement interdits de séjour. Ici on lape, on gobe, on suce, on avale ; tout y est préalablement fondu, mixé, bouilli, broyé, concassé, en un mot : mol. Même le nougat est tendre et vaporeux. Parmi les « Plats (de peu) de résistance », citons l’inénarrable « Civet de lièvre ci-devant » : « Ayez un beau-frère chasseur, qui ne vote pas du tout comme vous et avec qui, dans les repas de famille, la conversation tourne très vite au vinaigre. Provoquez un incident. Fâchez-vous, puis calmez-vous. Consolez votre sœur éplorée et réconciliez-vous lâchement. Allez plus loin dans la veulerie : promettez, pour la prochaine fois, de préparer un civet de lièvre à l’ancienne, à condition que, pour sa part, votre beau-frère vous apporte un beau lièvre tout juste flingué. » En forme d’exercices de style, 42 recettes plutôt gouleyantes, finement commentées et illustrées, enfin condescendant à mettre à l’honneur les sans-dents. C’est drôle, belge et plein d’esprit. Où l’on apprend à mettre en garde à vue trois œufs durs et un chou turc, à coffrer 400 g de poisson accusé pour les besoins de la cause d’être morue ou maquereau, pour réaliser un « Chou farci au poisson et aux queues d’écrevisses bavure ». Plus qu’un (joli) livre de recettes, c’est le manifeste savoureux et désopilant d’un nouveau courant culinaire, dont le mot d’ordre, « Luttons contre l’ostracisme de l’orthodoxie de l’odontostomatologie », a de quoi faire frémir les dentistes les mieux conventionnés du boulevard Saint-Germain.
Camille Decisier
La Cuisine molle pour édentés
Michel Dehoux et Jean-Pierre Jacquemin
Les Carnets du Dessert de Lune, 81 p., 16 €