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Domaine français Mémoire déroutée

juin 2005 | Le Matricule des Anges n°64 | par Lucie Clair

Adèle, la scène perdue

Adèle fuit sur une route, dans un présent suspendu, au-delà déjà d’un futur improbable, impensé. Elle inscrit au compteur de sa voiture les kilomètres dont elle sait qu’ils ne suffiront pas à l’éloigner de sa souffrance, espace qui s’emporte avec soi, qui emporte le Soi et qu’un homme, surgi à un croisement, ne parviendra pas à apaiser. Cette rencontre pourtant, Adèle la reconnaît, et c’est sans doute pourquoi elle accepte de le suivre. Dans la voiture de l’homme s’ouvre un autre voyage.
Peut-on être, par la grâce de l’amour, par la grâce de l’autre ? « Comment lier le soleil au cours de la vie d’un homme, est-ce qu’on prend sur le corps la tendresse du ciel ? » La douceur attend son heure, tapie derrière les entraves ouvragées par les maux inavoués. « (Le dire encore : l’effroi d’Adèle quand la connaissance de soi est du vide sans limite. Le vide revêtait des costumes variés./ Le dire encore : l’amour d’Adèle est vissé à l’énigme de l’homme pareille à l’énigme d’elle-même). » Mais l’homme dont le rire est à la mesure d’un vent purificateur et qui « pleure en dedans, il a le visage de ce qui pleure à l’intérieur », disparaît, « sans promesse et sans abandon ». La perte de l’amour restitue le corps à lui-même, à son secret, à ce « quelque chose comme la figure même de la mort dans les plis de la vie ». L’amour, comme son absence, ne sont que d’autres facettes de son vertige : avoir pris naissance sur les cendres d’un deuil familial, ne connaître pour racine que la « plus grande douleur : celle qui laisse supposer avec soi-même un point d’union, qui ouvre la question d’être, qui fait de soi un corps tombant issu de la disparition d’autres corps. »
De la solitude « si vaste que l’on peut y savoir la mort sans que cela ait la moindre importance », de l’impossibilité à se rejoindre, Adèle fouille les recoins, à la recherche des angles morts, ceux qui, en temps normal, obèrent la vision, et qui, ici, révèlent les éclats d’une fulgurante intuition. Pour nous les faire entrevoir, Marie Cosnay déploie les points de vue, élaborant ce qui ressemble à un gyroscope de la douleur : narration directe de l’événement, parcelles de la mémoire d’Adèle, atelier de l’écrivain, trois voix, trois rythmes, dans un assemblage précis. Poésie en prose plus encore que récit ou roman, Adèle, la scène perdue déroule en effet une étonnante continuité (et cohérence) au cœur des questionnements partagés, de la mélodie syncopée qui les soutient, et des brusques virages de ton de la narratrice : qu’elle s’éloigne et emploie un « on » indéfini, ou nous prenne à partie par un « vous », à la fois injonction et déportation et que ce moi-lecteur ait ou non envie de vivre par procuration ces événements et ces états la langue l’emporte, nous entraîne, dans le respect des espaces de silence nécessaire au dévoilement de l’insaisissable.
Née à Bayonne en 1965, Marie Cosnay enseigne les lettres classiques dans un collège du pays basque, a traduit Euripide et Sophocle, et publié ces dernières années dans les revues Petite, Présages, Le Nouveau Recueil, ou encore La Polygraphe. Poète avant tout, douée, ici comme dans son précédent opus (Que s’est-il passé ?) d’une force limpide au service du mystère de la mémoire, Marie Cosnay est d’abord une voix qui fait de son texte un corps vivant, sachant vivre avec son secret, garant de l’intimité et de l’intégrité, pour que tout au bout du périple advienne une réelle naissance : « Adèle, c’est le prénom d’une femme, je m’y suis confondue./ Qu’est-ce qui pouvait bien se passer, dans la souffrance de ne pas pouvoir raconter, si ce n’est l’avènement d’une femme ? »

Lucie Clair

Adèle, la scène perdue
Marie Cosnay
Cheyne éditeur, 96 pages, 13,50

Mémoire déroutée Par Lucie Clair
Le Matricule des Anges n°64 , juin 2005.