Tenir le journal de bord de toute une année n’est pas chose facile quand le radeau de notre corps a plutôt tendance à s’échouer sous les cieux noirs, qu’à affronter mille aventures fabuleuses. C’est écrire sur rien, voire moins que ça. En 1990, Pierre Autin-Grenier faisait paraître au Dé bleu ces Radis bleus, carnet de solitude amère tenu pile-poil d’un 17 janvier au 16 de l’année suivante. Certes, le calendrier est troué, certaines dates (19 avril par exemple) manquent à l’appel. N’empêche : le volume est conséquent pour quelqu’un qui trouve que la vie ne l’est pas beaucoup.
Hésitant entre la poésie, source de cette écriture, et l’aphorisme, qui en serait son horizon, Les Radis bleus égrène au fil du temps l’art d’accommoder le désespoir. Chez PAG, le plat est très épicé en humour, relevé parfois d’une pointe d’un fantastique surréaliste qui viennent donner des couleurs au « vin noir » que l’on boit. On pense à un Cioran qui n’aurait pas dédaigné faire le Guignol : le nihilisme le plus lucide (« Savoir que la plus éclatante des réussites n’est jamais qu’une défaite un instant différée »), aime faire d’épatantes cabrioles (« Rien. Voilà le mot qui résume tout. »)
Les Radis bleus reste le livre le plus intime de l’auteur de Toute une vie bien ratée. Son enfance entre placard et torgnoles y est évoquée en des aubes cafardeuses. Ce journal n’est pas le compte-rendu des menus faits : il est une manière de se tenir debout face à ce que la vie nous a légué. C’est celui d’un moraliste et poète qui « bricole dans l’essentiel ». On y débusque de jolies trouvailles comme lorsqu’il est question des illusions qu’on laisse au fossé de la jeunesse : « un beau matin, il nous fallut faire ressemeler nos ambitions. » Et aussi, une autodérision : « J’ai passé huit jours dans le désert, il y avait vraiment beaucoup de sable » qui signe la plus élégante des politesses.
Les Radis bleus de Pierre Autin-Grenier
Folio, 334 pages, 6,41 €
Poches La vie mode d’exploit
juillet 2005 | Le Matricule des Anges n°65
| par
Thierry Guichard
Un livre
La vie mode d’exploit
Par
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Le Matricule des Anges n°65
, juillet 2005.